C’est un livre poignant même pour qui ne connaîtrait pas l’œuvre de Stefan Zweig.
Les derniers jours sont ceux vécus par le célèbre écrivain autrichien en exil depuis 1934, d’abord à Londres puis à New York et finalement en fuite au Brésil dès le mois de septembre 1941. C’est là qu'en avalant une fiole de véronal il s'est suicidé, à Petropolis, avec Lotte Altman, sa seconde femme, le 22 février 1942.Il avait soixante ans et elle trente cinq.
Ce n’est pas une biographie bien que Laurent Seksik, l’auteur, se soit documenté avec soin. Il a tout lu de Zweig, ses romans ses nouvelles, ses journaux et sa correspondance mais s’il le cite beaucoup, il imagine aussi ses réfllexions, ses pensées, ses émotions et plus encore celles de sa jeune femme, plus optimiste quant à l’issue de la guerre mais jalouse de Friderike, la première femme toujours influente. Asthmatique, c’est pour Lotte qu’ils ont fui New York, trop polluée.
Zweig connaissait déjà le Brésil pour y être allé précédemment et c’est plein d’espoir qu’il y est arrivé à nouveau, pensant pouvoir continuer à écrire et à finir la vie de Balzac déjà bien commencée mais la malle expédiée de Londres et contenant tous ses dossiers ne lui est jamais parvenue et puis les mauvaises nouvelles sont arrivées en masse et il s’est senti à nouveau encerclé. Les menaces se précisaient : lettres de dénonciation, suicides d’amis très chers, Ernst Weiss, Erwin Rieger, Ernst Toller et Walter Benjamin, premiers soupçons concernant les déportations des familles restées en Autriche et en Allemagne, arrivées de bombardiers allemands er premiers assassinats nazis à Rio, prise de Singapour, impossibilité d’être publié dans sa langue désormais….
Rien d’étonnant à ce qu’il ait sombré dans une forme de dépression qui l’empêchait de sortir, d’écrire, de continuer à vivre tout simplement. Pourtant c’est en exil qu’il a écrit entre autres : Le joueur d’échecs, mon récit préféré.
Je suis heureuse d’avoir lu ce livre sur un de mes auteurs favoris.
Quelques notes:
Cette biographie de Balzac, commencée à Londres, devait être son gros œuvre. Il ferait oublier son médiocre, son risible Stendhal. Son Balzac serait son chef d’œuvre. L’écrivain était son modèle et son maître…Il avait pour ambition une étude exhaustive de l’œuvre, sa structure, son essence, quelque chose qui embrasserait l’ensemble de La Comédie humaine et qui resterait comme une référence.
Le monde qu’il avait connu était en ruines ; les êtres qu’il avait chéris étaient morts ; leur mémoire livrée au saccage. Il s’était voulu le témoin, le biographe des riches heures de l’humanité ; il ne parvenait pas à se faire le scribe d’une époque barbare. Sa mémoire occupait trop d’espace, la peur prenait trop l’ascendant. La nostalgie était l’unique moteur de son écriture. Il n’écrivait qu’au passé.
l aurait aimé sonder plus profondément et plus longuement les âmes, mais, chaque fois, au bout de quelques semaines, il avait le sentiment d’avoir épuisé son sujet. Au final, c’étaient toujours de semblables et courts récits de passions exclusives, d’amours irrépressibles, de déchaînements funestes. Tout était irrémédiablement avide et plein d’ardeur- l’inverse de sa propre nature en somme…Oui, quel que fût le sujet de ses fictions, c’était toujours un peu la même musique. Les personnages tentaient de résister à leur passion. Une fois qu’ils y avaient cédé, leur mauvaise conscience les faisait renoncer à la vie ou sombrer dans la folie…les feux de la passion, les flammes de l’enfer.
Ce que j’aime chez toi, c’est ton côté freudien. Oui, freudien. Tu ne racontes pas une histoire. Tu utilises un narrateur pour relater un récit, et ce narrateur s’entretient avec un tiers pour relater un récit, et ce narrateur s’entretient avec un tiers qui écoute sa confession. Tu as porté à son plus haut point la technique du récit enchâssé. Tu as inventé le style romanesque psychanalytique.
Pour moi, l’intérêt de tes livres réside dans le mystère de cette relation entre le narrateur et son interlocuteur. Plus encore que le héros, c’est le confesseur qui me fascine, cet être resté dans l’ombre et qui jamais ne juge….Ce qui demeurera de tes nouvelles, ce n’est pas tant le récit du monde ancien, ton cher monde disparu mais la chronique d’une dévastation. Les personnages de tes livres témoignent de la désintégration du monde.
Les derniers jours de Stefan Zweig , roman par Laurent Seksik, roman, (Flammarion, 2020, 188p) Site de l'auteur
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