Les romans du 19° mettent souvent en vedette des figures dont le nom vaut un titre : « la Cousine Bette », « L’Homme qui rit », « Nana », « Mme Bovary », « Bel-Ami »... Tout un programme derrière ces silhouettes souvent édifiantes... Quand on est un homme chez Maupassant, on a plutôt le beau rôle, et ceci au détriment des femmes qui, la plupart du temps, ne sont là que pour assurer la loi de la reproduction au sein de la nature. Conception désabusée de la vie que le génial écrivain a probablement héritée du philosophe Shopenhauer, apôtre de cynisme.
Vision décoiffante de la coquette qui ne pare ses cheveux et le reste que pour tomber dans le filet d’un séducteur... Comme son maître Flaubert, Maupassant n’a d’autre projet que de « tordre le cou » au romantisme et aux idées romanesques de ces Mme Bovary qui excitent la convoitise des hommes... Combien de ses œuvres sont consacrées à ce thème ? Relisons « Une Vie » ou la petite nouvelle « une Partie de Campagne »...
Les jeunes filles constituent au début des proies idéales et de ce fait, elles fascinent, elles captivent... Puis le temps passe, et on les froisse, on les jette...
Beaucoup des contes et nouvelles campés dans la campagne normande s’intéressent au sort de ces pauvresses abusées par la finauderie d’un galant. Il ne s’agit plus alors de petites bourgeoises, de petites cousines d’Emma bien éduquées par les livres, mais de solides paysannes égarées par les feux du printemps ! Prenons le cas de la nouvelle « Histoire d’une fille de ferme » et faisons le rapprochement avec « Bel-Ami » !
Je laisse d’abord le lecteur savourer cet extrait dans lequel on découvre, au tout début de la nouvelle « Histoire d’une fille de ferme », la servante Rose qui se laisse envahir par le trouble de l’été...
Alors caressée par l'ardente lumière, elle sentit une douceur qui lui pénétrait au cœur, un bien-être coulant dans ses membres.
Devant la porte, le fumier dégageait sans cesse une petite vapeur miroitante. Les poules se vautraient dessus, couchées sur le flanc, et grattaient un peu d'une seule patte pour trouver des vers. Au milieu d'elles, le coq, superbe, se dressait. A chaque instant il en choisissait une et tournait autour avec un petit gloussement d'appel. La poule se levait nonchalamment et le recevait d'un air tranquille, pliant les pattes et le supportant sur ses ailes ; puis elle secouait ses plumes d'où sortait de la poussière et s'étendait de nouveau sur le fumier, tandis que lui chantait, comptant ses triomphes ; et dans toutes les cours tous les coqs lui répondaient, comme si, d'une ferme à l'autre, ils se fussent envoyé des défis amoureux.
Que le lecteur veuille bien savourer la richesse de cette description qui en dit long des envies de Rose. Littéralement, elle « attend le mâle » et la suite immédiate de l’histoire ne racontera pas autre chose... Mais il faut aussi apprécier la façon dont les choses s’imposent à la compréhension... Rose est enfermée dans la prison domestique. Le passage qui précède nous la montre dans sa cuisine, affairée à des tâches ménagères. La poule qui « se lève d’un air tranquille », qui, après la bagatelle, « s’étend sur le fumier » est aussi lascive que Rose dont elle est finalement, pour employer un terme à la mode, une sorte « d’avatar » !
Et le coq, parlons du coq ! Ne rappelle-t-il pas le vaniteux Bel-Ami, héros d’un roman façon « amour, gloire et beauté » avant la lettre ! Il est « superbe ». Comme son avatar romanesque, il « choisit » ses poulettes afin de mieux pouvoir ensuite « compter ses triomphes » et accroître le bruit de sa renommée ! Un coq propulsé au sommet de l’Etat ! Un bel-ami portant crête et culotte à poils !