Refus d’une allocation « famille nombreuse » fondé sur la seule nationalité et statut de réfugié politique
par Nicolas Hervieu
Dans ces deux affaires (Saidoun et Fawsie), la Cour européenne des droits de l’homme, saisie d’une allégation de discrimination dans la jouissance du droit au respect de la vie familiale (Art. 14 combiné à l’article 8), condamne à l’unanimité la Grèce par deux “arrêts clones“ (N.B. : les références ci-après sont celles de l’affaire Saidoun). A cette fin, les juges strasbourgeois déploient une analyse déjà bien établie dans sa jurisprudence passée (V. Cour EDH, 1e Sect. 9 juillet 2009, Zeïbek c. Grèce, Req. n° 46368/06 ; Cour EDH, 4e Sect.25 octobre 2005, Okpisz c. Allemagne, Req. n° 59140/00 ; Cour EDH, 2e Sect. 31 mars 2009, Weller c. Hongrie, Req. n° 44399/05). Ainsi, et premièrement, la Cour admet l’applicabilité de l’article 14 puisqu’elle relève qu’était en cause l’exercice du droit au respect de la vie familiale. En effet, s’il est rappelé que « le refus des autorités d’accorder à la requérante l’allocation pour famille nombreuse ne visait pas à briser la vie familiale de celle-ci et n’a pas eu cet effet, car l’article 8 n’impose pas aux Etats une obligation positive de fournir l’assistance financière en question » (§ 28), « l’attribution de l’allocation pour famille nombreuse permet à l’Etat de “témoigner son respect pour la vie familiale“ au sens de l’article 8 de la Convention et entre donc dans le champ d’application de ce dernier » (§ 29 – pour un raisonnement similaire, v. récemment et notamment Cour EDH, 1e Sect. 7 octobre 2010, Konstantin Markin c. Russie, Req. n° 30078/06 – ADL du 08 octobre 2010. voir catégorie “Situation de famille“). Deuxièmement, au fond, est examinée la pertinence de « la pratique consistant à exclure de certaines allocations les étrangers légalement installés sur le territoire de ces Etats, sur la seule base de leur nationalité étrangère » (§ 33). C’est à ce stade que va se cristalliser le constat de violation car les juges européens estiment qu’aucune « justification raisonnable » ne vient étayer cette différence de traitement « fondé[e] essentiellement sur la nationalité grecque ou l’origine grecque » (§ 36), « seules des considérations très fortes » pouvant d’ailleurs permettre une telle justification à l’aide de cet unique critère de la nationalité (§ 37 – Sur le critère de la résidence, v. Cour EDH, G.C. 16 mars 2010, Carson et autres c. Royaume-Uni, Req. n° 42184/05 –ADL du 16 mars 2010. Voir catégorie “pensions”). La Cour admet certes que la Grèce puisse chercher à « faire face autant que faire se peut au problème démographique du pays » au moyen d’allocations encourageant la natalité (§ 36). Mais, outre les variations de la jurisprudence du Conseil d’Etat grec à ce sujet (§ 38), la juridiction européenne souligne l’affaiblissement, au sein de la législation grecque, du « caractère prédominant de la nationalité » dans les conditions d’octroi de l’allocation litigieuse (en 1997 extension « aux seuls nationaux des Etats membres de l’Union européenne, puis, en 2000, aux nationaux des Etats parties de l’Espace économique européen et finalement, à partir de 2008, aux réfugiés tels que la requérant » - § 39). Après un rappel, « à titre subsidiaire », de ce que la constitution et la législation grecques accordent en tout état de cause de « l’importance […] à la protection des familles nombreuses » (§ 41), la violation par la Grèce de l’interdiction de la discrimination dans la jouissance du droit au respect de la vie familiale est donc constatée (§ 42).
Le raisonnement mené dans ces deux arrêts s’appuie à plusieurs reprises sur le « statut de réfugié politique » (§ 35) dont bénéficient les requérantes. En effet, la juridiction strasbourgeoise indique « ne [pas] perd[re] de vue […] que la Grèce est partie contractante à la Convention de Genève relative au statut des réfugiés qui prévoit, en son article 23, l’obligation pour les Etats d’accorder aux réfugiés résidant régulièrement sur leur territoire le même traitement en matière d’assistance et de secours publics qu’à leurs nationaux» (§ 40 – V. § 18). Une telle évocation est critiquée par la juge Vajić dans son opinion concordante qui estime qu’ « il n’appartient pas à la Cour d’interpréter la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, notamment son article 23 ». Si cette citation d’une convention internationale extérieure au système strasbourgeois est loin d’être inédite (Cour EDH, G.C. 12 novembre 2008, Demir et Baykara c. Turquie, Req. n° 34503/97 – ADL du 14 novembre 2008 et plus récemment Cour EDH, G.C. 28 septembre 2010, Mangouras c. Espagne, Req. n° 12050/04 – ADL du 28 septembre 2010. Voir catégorie “normes extraconventionnelles”), elle confirme que la Cour juge souvent utile – non pas réellement d’appliquer en soi une telle convention – mais de mobiliser cette source à l’appui de son propre processus d’examen des allégations de violation.
Saidoun c. Grèce et Fawsie c. Grèce (Cour EDH, 1e Sect. 28 octobre 2010, Resp. Req. n° 40083/07 et 40080/07)
Actualités droits-libertés du 29 octobre 2010 par Nicolas HERVIEU
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