Comment survivre à la fin d’un grand amour? C’est la question qu’aborde David Foenkinos dans ce très beau roman. Et la réponse qu’il propose, empreinte de sensibilité et de… délicatesse, est aux antipodes du discours ambiant porté par les bonzes de la psychologie populaire qui ont fait de la ‘résilience’ un concept à la mode.
Il y a longtemps que je n’avais lu un roman qui traite du sentiment amoureux de manière aussi simple et belle. Rafraichissant et encourageant. Pour vous donner une idée, ce livre m’est apparu comme l’image inversée du roman de Franz-Olivier Giesbert dont j’ai déjà eu l’occasion de parler: Un très grand amour. J’ai plutôt fait le rapprochement avec une œuvre élégante et sensible comme La dentellière de Pascal Lainé, le côté tragique en moins. Car la gravité du sujet abordé n’est pas incompatible avec la gaieté qui ponctue certains moments de la vie, comme l’illustre ce passage où François se prépare à courtiser Nathalie:
Il lui demanda ce qu’elle voulait boire. Son choix serait déterminant. Il pensa: si elle commande un déca, je me lève et je m’en vais. On n’avait pas le droit de boire un déca à ce genre de rendez-vous. C’est la boisson la moins conviviale qui soit. Un thé, ce n’est guère mieux. À peine rencontrés et déjà s’installe une sorte de cocon un peu mou. On sent qu’on va passer des dimanches après-midi à regarder la télévision. Ou pire: chez les beaux-parents. Oui, le thé c’est incontestablement une ambiance de belle-famille. Alors quoi? De l’alcool? Non, ce n’est pas bien à cette heure-ci. On pourrait avoir peur d’une femme qui se met à boire comme ça, d’un coup. Même un verre de vin rouge ne passerait pas. François continuait d’attendre qu’elle choisisse ce qu’elle allait boire, et il poursuivait ainsi son analyse liquide de la première impression féminine. Que restait-il maintenant? Le Coca-Cola ou tout autre type de soda… Non, pas possible, cela ne faisait pas du tout femme. Autant demander une paille aussi, tant qu’elle y était. Finalement, il se dit qu’un jus, ce serait bien. Oui un jus, c’est sympathique. C’est convivial et pas trop agressif. On sent la fille douce et équilibrée. Mais quel jus? Mieux vaut esquiver les grands classiques: évitons la pomme ou l’orange, trop vu. Il faut être un tout petit peu original, sans toutefois être excentrique. La papaye ou la goyave, ça fait peur. Non, le mieux c’est de choisir un entre-deux, comme l’abricot. Voilà, c’est ça. Le jus d’abricot, c’est parfait. Si elle choisit ça, je l’épouse, pensa François. À cet instant précis, Nathalie releva la tête de la carte, comme si elle revenait d’une longue réflexion. La même réflexion que venait de mener l’inconnu face à elle.
«Je vais prendre un jus…
—…?
Un jus d’abricot, je crois.» (p. 14)
Après ça,on ne s’étonnera pas que ces deux-là se soient convaincus d’être faits l’un pour l’autre. L’histoire pourrait s’arrêter là mais, entre nous, ça ne ferait pas un très gros roman. Non, la vie va plutôt continuer sa course, à la fois belle et inexorable jusqu’au moment du drame.
Ce qui nous intéresse plutôt ici, c’est ce qui se passe ensuite et dont le détail nous est rapporté par petites tranches, trop courtes pour constituer des chapitres. Disons plutôt des sections (117 au total) que l’on savoure lentement, l’une après l’autre pour faire durer le plaisir. Fait à noter, plusieurs de ces sections comportent des éléments d’information supplémentaires, parfois une définition, d’autres fois une réflexion qui se greffent au récit et dont l’effet est souvent plus humoristique qu’éclairant. Le procédé m’a rappelé vaguement (encore que de très loin car il n’y aucune parenté spirituelle entre les deux œuvres) celui employé par Bret Easton Ellis dans American Psycho et qui consistait à insérer des chapitres entiers traitant de choses superficielles comme la musique de Phil Collins ou celle de Whitney Huston pour mieux décrire la vacuité intellectuelle de son personnage. Brrr, près de 20 ans plus tard j’en ai encore froid dans le dos. Revenons plutôt à notre roman, ça vaudra mieux… C’est ainsi qu’à la section 56 on a droit à la recette du risotto aux asperges que les personnages ont commandé à la page précédente. Tiens, je m’en vais l’essayer de ce pas.
Au total, David Foenkinos a réussi le tour de force de traiter d’un sujet difficile sans tomber dans le pathos. Bien plutôt, il se dégage de ce livre une confiance inconditionnelle dans la capacité de l’humain d’atteindre le bonheur malgré les aléas de la vie. Une lecture qui fait du bien et qui tranche sur la morosité ambiante. Allez, on ne boude pas son plaisir…
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FOENKINOS, David. La délicatesse. Paris, Gallimard, 2009, 201 p. ISBN: 9782070126415
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Commentaires des bloggeurs: Livrez-vous, Silvi, Melimemo, La fée bourbonnaise, Sylire, Notes de lecture, Le coin lecture, À bride abattue, Cinquième de couverture, Croqlivres, Petites lectures entre amis, End and start again (blog francophone, malgré le titre…), Le capharnaüm, Le grand nulle part, Livrantesque, Summerday (également en français, décidément…), Lau’lit, Les lectures de Ness, BloCoLi, Thé au jasmin, La soupe aux livres, Levaldulivre, Lecturesrecentes, Littéranaute. Ouf!, on dirait bien que ce roman n’est vraiment pas passé inaperçu…