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Philippe Artrières, Les enseignes lumineuses. Des écritures urbaines au XXème siècle, éditions Bayard, 164 p. Bibliogr.
Avec l'électricité urbaine arrivent les enseignes lumineuses, symboles de la modernité de la ville. Paysages électrographiques dont les Grands boulevards (dès 1889), les gares, les grands magasins font une apothéose. La publicité s'empare de ce moyen nouveau pour produire messages et signes des marques ; on crée même un "journal électrique" qui s'exprime en "écriture flamme", alternant nouvelles et produits.
Déjà, créativité et innovation scientifique sont stimulées par la publicité comme aujourd'hui elle l'est par les écrans et leurs messages numériques (digital signage). Le monde du néon se développe (Claude Lumière) : le Cinzano s'écrit en blanc sur fond rouge Boulevard Haussmann et l'architecture incorpore la lumière (cinéma Gaumont-Palace, place Clichy, 1931). La publicité, enrôlant les premières psychologies de la perception et de l'attention, produit une théorie pratique de ce nouveau moyen de communication de masse qui rénove l'affichage.L'auteur raconte l'histoire ignorée de ce média, de ses héros, de ses entreprises innovantes et de sa réglementation trop foisonnante : la société met plus d'énergie à réglementer qu'à créer. Ce travail rappelle que la publicité a une histoire, et qu'elle est indissociable de notre vision du monde, ce qui rend cette histoire difficile à écrire.
Pourquoi tant de lumière dans la nuit de la jungle de nos villes (Brecht, "Im Dickicht der Städte", 1923) ? Pourquoi l'exubérance illisible des feux de Time Square (New York) ? Au delà de la sémiologie particulière des messages lumineux, il y a une sémiologie métaphysique de ces "nuits étoilées" de néons et de LED. Il faut avoir vécu, la nuit, la juxtaposition, de chaque côté du Mur à Berlin, d'un Est sombre et d'un Ouest illuminé, pour pressentir le rôle des enseignes et des vitrines. Dans cette compétition économique et sociale, il s'agissait pour l'Ouest, en des temps de "guerre froide", d'avoir des nuits plus belles que les jours à l'Est.