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Marche !

Publié le 31 octobre 2010 par Jlhuss

bossuet1.1288384777.jpgUn prélat ayant la foi, c’était aussi rare en ces temps fastueux du royaume qu’un courtisan parlant vrai. Devenu prêtre par vocation, choisi en 1670 comme précepteur du Dauphin et nommé évêque de Meaux en 1681, Jacques-Bénigne Bossuet prononça devant le roi et la cour divers sermons et oraisons funèbres où il rappelait aux Grands la vanité de toute chose et d’eux-mêmes. Bossuet improvisait souvent, ne publia pas. Avant de devenir objet de littérature, ses discours répondaient à un but d’édification religieuse et morale. Et quelle plus urgente leçon, toujours, que le rappel du devoir de mourir ? La promesse d’un au-delà radieux, face positive du christianisme et de toute religion, n’apparaît pas dans les deux extraits sinistres que voici. Sinistres car on n’aime pas s’entendre dire : “Tu n’es rien”, même l’avant-veille du Jour des morts. Sinistres mais grandioses. Toute la splendeur du verbe pour inspirer l’humilité, qui pourra dire que ce n’est “pas très catholique” ?

Arion

I.   C’est bien peu de chose que l’homme, et tout ce qui a une fin est bien peu de chose. Le temps viendra où cet homme qui nous semblait si grand ne sera plus, où il sera comme un enfant à naître, où il ne sera rien. Si longtemps qu’on soit au monde, y serait-on mille ans, il en faut finir là. Il n’y a que le temps de ma vie qui me fait différent de ce qui ne fut jamais : cette différence est bien petite, puisqu’à la fin je serai encore confondu avec ce qui n’est point, et qu’arrivera le jour où il ne paraîtra pas seulement que j’aie été, et où peu m’importera combien de temps j’aie été, puisque je ne serai plus. J’entre dans la vie avec la loi d’en sortir, je viens faire mon personnage, je viens me montrer comme les autres ; après, il faudra disparaître. J’en vois passer devant moi, d’autres me verront passer ; ceux-là mêmes donneront à leurs successeurs le même spectacle ; et tous enfin se viendront confondre dans le néant. Ma vie est de quatre-vingts ans tout au plus ; prenons-en cent : qu’il y eut de temps où je n’étais pas ! qu’il y en a où je ne serai point ! et que j’occupe peu de place dans ce grand abîme de temps ! Je ne suis rien ; ce petit intervalle de temps n’est pas capable de me distinguer du néant où il faut que j’aille. Je ne suis venu que pour faire nombre, encore n’avait-on que faire de moi ; et la comédie ne se serait pas moins bien jouée, quand je serais demeuré derrière le théâtre.

II.    La vie humaine est semblable à un chemin dont l’issue est un précipice affreux. On nous en avertit dès le premier pas ; mais la loi est portée, il faut avancer toujours. Je voudrais retourner en arrière. Marche ! marche ! Un poids invincible, une force irrésistible nous entraîne. Il faut sans cesse avancer vers le précipice. Mille traverses, mille peines nous fatiguent et nous inquiètent dans la route. Encore si je pouvais éviter ce  précipice affreux ! Non, non, il faut marcher, il faut courir : telle est la rapidité des années. On se console pourtant parce que de temps en temps on rencontre des objets qui nous divertissent, des eaux courantes, des fleurs qui passent. On voudrait s’arrêter : Marche ! marche ! Et cependant on voit tomber derrière soi tout ce qu’on avait passé ; fracas effroyable ! invévitable ruine ! On se console, parce qu’on emporte quelques fleurs cueillies en passant, qu’on voit se faner entre ses mains du matin au soir et quelques fruits qu’on perd  en les goûtant : enchantement ! illusion ! Toujours entraîné, tu approches du gouffre affreux : déjà tout commence à s’effacer ; les jardins moins fleuris, les fleurs moins brillantes, leurs couleurs moins vives, les prairies moins riantes, les eaux moins claires : tout se ternit, tout s’efface. L’ombre de la mort se présente ; on commence à sentir l’approche du gouffre fatal. Mais il faut aller sur le bord. Encore un pas : déjà l’horreur trouble les sens, la tête tourne, les yeux s’égarent. Il faut marcher ; on voudrait retourner en arrière ; plus de moyens : tout est tombé, tout est évanoui, tout est échappé.

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Jacques-Bénigne Bossuet,   I.Méditation sur la brièveté de la vie, 1648
   II.Sermon pour le jour de Pâques, 1685


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