Vendredi, en marge d'un conseil européen, Nicolas Sarkozy a joué les modestes : « dans cette affaire, il n'y a qu'un seul vainqueur, la sécurité sociale. (...) les Français sauront que leurs retraites seront financées (...) et tous ceux qui partiront à la retraite dans les années qui viennent sauront que le système français de sécurité sociale, fondé sur la solidarité entre les générations, fonctionne.» Et d'ajouter : « Pour le reste, des inquiétudes, souvent légitimes, ont été exprimées. Je les ai entendues, j'y réfléchis et je prendrai le moment venu des initiatives pour y répondre.»
« Mon devoir de chef de l'Etat est d'entendre ce qui a été dit par les uns et les autres, il y a beaucoup de leçons à tirer de tout ceci. »
Il a raison. Voici 6 leçons à ne pas oublier... en 2012.
1. Ouvriers et employés devront cotiser plus longtemps. C'est mathématique.
Si vous avez commencé à cotiser avant 18 ans, pas d'impact. La durée de cotisation reste ... plus longue que le régime normal (respectivement de 44 et 43 ans). Si vous avez démarrer à 18 ans, vous devrez cotiser ... 44 ans. Ce sont donc celles et ceux qui ont travaillé très jeune qui sont les plus pénalisés.
2. Le recul du départ en retraite aggrave la précarisation des plus de 58 ans.
Cinquante pour cent des Français sont sans emploi à 59 ans (soit chômeur, soit en pré-retraite). Cette proportion stagne depuis 2003, malgré la réforme Fillon (2003) qui allongea les durées de cotisations. La France a problème d'emploi, et non pas de durée de travail. En revanche, l'âge moyen de liquidation de la retraite a effectivement progressé au fil du temps, pour atteindre 61,9 ans en 2009. 40% des nouveaux retraités ne sont plus en activité quand ils entrent en retraite. Depuis 10 ans, le taux d'emploi des 55-64 ans stagne à un niveau anormalement bas en Europe : 39% contre 48% en moyenne. Avec cette réforme, nombre de salariés tomberont dans les minima sociaux ou l'assurance chômage, faute d'emploi, dans l'attente de leur retraite.
3. La réforme ne garantit pas l'équilibre financier des régimes de retraites. Le gouvernement, dans sa présentation, mélange les économies générées par les mesures d'âges et l'alignement des cotisations public/privé avec la mobilisation des fonds de la Cades pour afficher un équilibre en 2018. Dans son document initial, le gouvernement affichait toujours 15,6 milliards d'euros de déficit annuel en 2020. Et, pour faire bonne figure, ses prévisions de recettes de cotisations sociales, reprenant celles du COR, reposent sur un taux de chômage ramené à 7,7% en 2015 et 5,7% en 2020 et à 4,5% en 2024.
4. Les femmes sont majoritairement perdantes. Le gouvernement a fait une avancée vers les femmes, mais uniquement les mères de famille nées avant 1956. Pour les autres, il oublie l'essentiel : les femmes travaillent davantage à temps partiel, ont des salaires moins élevés, et des carrières plus morcelées par le chômage que les hommes. La réponse gouvernementale fut une pirouette : ce ne serait pas à une réforme des retraites de résoudre les inégalités hommes/femmes. La sanction prévue contre les entreprises récalcitrantes à établir un bilan annuel des écarts de rémunérations homme/femmes est ridicule : 1% de leur masse salariale, quand l'écart de salaire (pour un temps complet) excède en moyenne ... 10%. Et que dire de certains emplois ultra-féminisés et mal payés ?
5. La pénibilité n'est pas prise en compte : seuls les invalides physiques (à 10% de leurs capacités) à 60 ans pourront partir en retraite à cet âge. Et ils attendront quand même 67 ans pour bénéficier d'une retraite sans décote s'ils n'ont pas le nombre de trimestres de cotisation requis. Or l'espérance de vie, avec ou sans incapacité est l'une des premières inégalités de la retraite : les ouvriers vivent 7 ans de moins que les cadres, et avec davantage d'incapacité physique. En 2008, l'INED notait : « après 60 ans, les ouvriers et les ouvrières vivent en moyenne plus d’années avec que sans incapacité et endureront aussi plus d’incapacités sévères que les cadres. Au sein d’une vie déjà plus courte, les ouvriers passent donc à la fois moins de temps sans incapacité que les cadres, et vivent plus longtemps qu’eux avec des incapacités et des handicaps.»
6. L'effort est injustement réparti.
Le financement des retraites par la réforme est portée pour l'essentiel par les mesures d'âge (58% des économies attendues en 2015), et l'alignement des cotisations du secteur public sur celles du privé (17% en 2015). Les recettes nouvelles, portant sur certains relèvement d'impôt, des nouvelles taxations de revenus financiers et la modification du calcul des allègements généraux de charges patronales sur les entreprises annualisées représentent 25% de l'effort (15% en 2020).
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