Premier long-métrage du taïwanais Leon Dai, Je ne peux pas vivre sans toi est une histoire toute simple, tirée d’un fait divers réel : Le désespoir d’un homme, modeste ouvrier travaillant sur les docks de Kaohsiung, obligé d’effectuer un parcours kafkaïen dans une incroyable jungle administrative pour pouvoir avoir le droit de vivre normalement avec sa petite fille.
Wu-hsiung a toujours vécu seul avec sa petite fille Meï. C’est lui qui s’est occupé d’elle, qui a assuré toute son éducation, après que la mère les a abandonnés.
Aujourd’hui, la fillette a sept ans, l’âge légal auquel elle doit être scolarisée.
Wu-hsiung ne demande pas mieux que d’inscrire sa fille à l’école publique. Il y voit pour elle la chance de s’instruire, de suivre de longues études, d’échapper ainsi à la condition ouvrière et d’obtenir une vie meilleure.
Mais quand il se présente dans le bureau des inscriptions scolaires, on lui annonce que sa demande n’est pas recevable car légalement, il n’est pas le père de l’enfant.
Son ex-compagne était mariée avec un autre homme quand elle a accouché de Mei. Au regard de la loi taïwanaise, Wu-hsiung n’a aucun droit parental sur celle qui est pourtant sa fille biologique.
Pour inscrire la fillette à l’école, il faut que ce soit la mère qui effectue la démarche. Wu-hsiung a beau argumenter que son ex-compagne les a abandonnés depuis longtemps et qu’il ne sait absolument pas où la joindre, on lui oppose un refus catégorique. Pire, on lui laisse entendre qu’il pourrait perdre la garde de son enfant !
”Vous n’avez pas le droit de vivre comme cela avec cette fillette” lui lance sèchement une bureaucrate un peu trop zélée et bornée.
”Que voulez-vous dire? Qu’il est anormal qu’un père prenne soin de sa fille?” lui rétorque l’homme, écoeuré par l’absurdité de ce système administratif déshumanisé.
Déjà confronté aux difficultés d’un quotidien pas toujours rose, Wu-hsiung doit en plus faire face à un nombre incroyable de tracasseries administratives et de pressions de la part d’employés et de policiers idiots, sourds à ses supplications.
Il finira par craquer, comme le laisse présager la scène initiale, qui le montre en fâcheuse posture, menaçant de se suicider en se jetant du haut d’un pont.
Pour quel dénouement? A vous de le découvrir…
Je ne peux pas vivre sans toi est un film touchant, car humble et pudique. Malgré le côté mélodramatique du sujet, Leon Dai ne verse jamais dans la facilité ou dans les effets tire-larmes. Il allie une image numérique de style documentaire à un noir & blanc du plus bel effet, directement hérité des néoréalistes italiens, et s’appuie beaucoup sur son acteur principal Chen Wen-pin, d’une sobriété exemplaire, malgré le côté scabreux du rôle.
Evidemment, la construction du film impose que le côté dramatique soit un peu trop appuyé en final, mais cela ne nuit pas vraiment à la sincérité de l’oeuvre, ni à la force de son sujet.
Car la situation vécue par ce père-courage, assez édifiante, est symptomatique des dérives bureaucratiques et administratives de nos sociétés dites “civilisées”, où des lois parfois absurdes remplacent le bon sens et le sentiment d’humanité.
Chacun devrait se reconnaître un peu dans le personnage principal. Qui n’a pas un jour été confronté au zèle d’un bureaucrate au Q.I. de mollusque, vous réclamant le formulaire X-5623 que bien sûr, personne n’a songé à vous donner? Qui n’a jamais croisé le regard obtus d’un fonctionnaire peu coopératif, vous indiquant qu’il ne peut plus vous recevoir car, vous comprenez, il est 16h50 et qu’il finit sa journée à 17h tapantes? Qui n’a jamais eu à démêler un imbroglio concernant des impôts ou des remboursements de sécurité sociale ? (Oui, il y a du vécu, là…)
A l’heure où le gouvernement avance comme argument, pour justifier la réforme des retraites, que tous les pays européens sont déjà passés à la retraite à 65 ans, on espère qu’ils ne s’inspireront pas de ce que fait Taïwan en matière de démarches administratives… Même si la Chine commence à devenir un modèle en terme de réussite économique, ça ne serait pas une très bonne idée…
A noter que le film a obtenu bon nombre de récompenses : meilleur film et meilleur réalisateur aux Golden Horses Film Festival 2009 – l’équivalent chinois des Oscars – meilleur cinéaste à l’Asia-Pacific film festival, meilleur film aux festivals de Macao, Durban, ou, plus près de chez nous, de Vesoul. Et il a été retenu en compétition au dernier festival Paris-Cinéma.
A découvrir, donc…
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Bu neng mei yu ni
Réalisateur : Leon Dai
Avec : Chen Wen-pin, Yo Hsuan Chao, Chih Ju-Lin
Origine : Taïwan
Genre : drame administratif kafkaïen
Durée : 1h32
Date de sortie France : 27/10/2010
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Le Nouvel Observateur
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