La chronique du moi

Publié le 30 octobre 2010 par Les Lettres Françaises

La chronique du moi

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Une maison d’édition qui s’éteint, une femme qui s’en va… Et le monde s’effondre autour de soi. Voilà en termes lapidaires tout le propos de Bertil Scali dans son non moins sommaire roman, Un jour comme un autre. Roman ? Vraiment ? La catégorie eût été plus justement choisie s’il s’agissait, au mieux, d’une autofiction. Hélas, il n’en est rien. En la personne sous-romanesque de Guido, Bertil Scali verse des larmes d’éléphant sur presque 300 pages molles et affectées, narrant tour à tour les circonstances de sa rupture sentimentale, concomitant avec la fermeture des Editions Scali, son chérubin. Non, c’est bien un triste récit gonflé de toute l’amertume d’un ego meurtri que Scali donne à lire. Triste parce qu’il est, malgré tout, regrettable de voir disparaître un éditeur ; récit tout de même car Scali ne peut s’empêcher de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, et ce n’en est que plus dommage.

Rappel des faits. Les Editions Scali décident de faire un coup en publiant le livre de la mère de Michel Houellebecq. Espérant atteindre les 20 000 exemplaires vendus, l’ouvrage ne s’écoule qu’à 3 000 unités. C’est la chute de la maison Scali : « quelle aurait été notre vie si les ventes du livre de la mère de l’écrivain Thomas Michel ne s’étaient pas effondrées ? » Forcément, quand on fait un coup à la littérature, elle sait parfois vous le rendre. Au fait, Thomas Michel ? Oui, Scali s’est complu à maquiller les noms de tous les personnages que son double a croisés au cours de l’aventure éditoriale. Et Michel Houellebecq de devenir Thomas Michel (pourquoi pas Michael Wellbeck, après tout ! On donne bien parfois du « Séneck » au précepteur néronien…), et Richard Branson de se découvrir en Roger Baron. C’est tout dire du haut niveau de précautions prises par l’auteur, sans doute inquiet de possibles représailles de la part de ses bons (?) amis : si l’histoire est réelle, on oppose cependant à ses figurants le droit légitime de jouer à visage découvert. Même procédé à l’endroit des institutions évoquées : on donne du Paris Star à Paris Match et du Radio Luna à Radio Nova. Pire encore, Scali se remémore le bon vieux temps aux côtés d’un certain « Marca », disparu trop tôt, comme il se doit. Pour les intimes, « Marca » n’est autre que Marc-Alexandre Millanvoye, « un des grands animateurs et chroniqueurs de la culture contemporaine française », comme chacun sait… Ou plutôt comme si peu le savent !

Voilà le drame de Bertil Scali : son livre ne s’adresse qu’à une poignée de lecteurs potentiels, quelques happy few qu’il souhaiterait, au fond, voir tourner « sad » avec lui. En contrepoint, une rupture, un départ, une prise de distance nécessaire car il faut toujours faire le point, n’est-ce pas ? Deux enfants, la Californie chez Maman et sœurette, quelques banales anecdotes relatives au commerce amoureux contemporain, tellement douloureusement universel… Peine perdue, le voyeurisme ne prend pas. Hep garçon ! La prochaine fois, servez-moi de la littérature, merci.

Matthieu Lévy-Hardy

Décembre 2009

Un jour comme un autre, de Bertil Scali
Anabet éditions, 296 p., 16 €