« Khosh amadid » est s’est vite affirmé comme le dernier slogan pour de nombreux Libanais lorsque des milliers de pancartes de « bienvenue » en persan sont apparues un peu partout à travers le pays.
C’était la semaine passée, à l’occasion de la visite de deux jours du président iranien Mahmoud Ahmadinejad.
Bien que cette visite ait été présentée dans la plupart des grands médias comme « controversée » , Ahmadinejad a été invité au Liban à l’occasion de la visite en Iran en 2008, du président libanais Michel Suleiman. Une grande partie des médias se sont focalisés sur la relation étroite entre l’Iran et le mouvement du Hezbollah, parti politique chiite islamique libanais et organisation de la résistance armée.
Depuis la création du Hezbollah au début des années 1980, l’Iran a financé le groupe, lui fournissant armes et entraînement militaire. Ce soutien est l’un des facteurs qui ont fait du Hezbollah la force de résistance armée la plus efficace à ce jour contre Israël .
Alors que beaucoup se réjouissaient de la visite de M. Ahmadinejad, la première au Liban depuis qu’il a été élu en 2005, d’autres estimaient qu’elle était accompagnée par un grand nombre d’exagérations et de critiques inutiles. Hassan, un chauffeur de taxi dans le quartier Dahiyeh à Beyrouth, disait : « Quel est le problème ? C’est le dirigeant d’un pays qui rend visite à un autre. Si Sarkozy venait ici aujourd’hui il n’y aurait pas de problème. C’est seulement quand il est question du Hezbollah que le monde fait attention au Liban. »
Bien que fervent partisan du Hezbollah, Hassan ajoute qu’il n’est pas particulièrement enthousiasmé par la visite du leader iranien. Il est cependant heureux « qu’il soit enfin question du problème de l’électricité ! »
Le Liban reste en proie à des questions de fourniture d’électricité et à des problèmes avec d’autres services fournis par l’État, les coupures d’électricité quotidiennes allant de trois heures dans la capitale à huit heures, sinon plus, en dehors de la ville. Ce problème a été considérablement aggravé au cours de la guerre de juillet 2006 lorsqu’Israël a attaqué les centrales énergétiques à travers le pays.
Pour certains, le point culminant de la visite d’Ahmadinejad a pris la forme d’un prêt de 450 millions de dollars pour soutenir le secteur de l’énergie au Liban et les projets de gestion de l’eau. Al-Jazeera avait rapporté plus tôt que Gebran Bassil, ministre de l’eau et de l’énergie du Liban, avait souligné que « tous les avantages de cette visite seront pour tous les Libanais », sans qu’il soit question d’un groupe politique ou d’un autre.
Déplacer les rapports de forces dans la région
Le Liban a été la raison pour laquelle beaucoup de batailles politiques et militaires ont été menées dans la région ces dernières années. Après une présence militaire de près de trois décennies au Liban, la Syrie a été forcée de retirer ses forces après que l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri ait été assassiné - avec 21 autres personnes - dans un attentat à la voiture piégée en 2005. Beaucoup d’hommes politiques ont rapidement accusé la Syrie d’être responsable de l’assassinat, dont le fils de Rafic Hariri et actuel premier ministre libanais, Saad Hariri.
C’est à ce moment-là qu’est née l’alliance du 14 mars, alors au pouvoir, soutenue par l’occident et dirigée par le mouvement du Futur d’Hariri - principalement soutenu par les sunnites - et qu’est né dans le même temps le mouvement du 8 mars dirigé par le Hezbollah.
Trois ans plus tard, en mai 2008, alors que la situation politique au Liban était dans l’impasse, des affrontements internes ont éclaté entre les différents groupes politiques ; affrontements qui ont été presque immédiatement réprimés par la force militaire et dominante du Hezbollah.
Les élections parlementaires qui ont suivi un an plus tard puis de longues négociations au Parlement ont abouti à la nomination de Saad Hariri comme nouveau premier ministre à la tête d’un gouvernement d’union nationale incluant le Hezbollah. Assumant son nouveau rôle, M. Hariri a rapidement conduit un processus de rapprochement avec la Syrie, et il a rétracté en septembre de cette année les accusations selon lesquelles la Syrie était derrière l’assassinat de son père.
Amal Saad-Ghorayeb, auteur du Hezbollah : Politique et Religion et chercheur à l’Institut de Doha, voit dans ces différents événements comme la cause d’un changement de pouvoir, non seulement au Liban mais dans toute la région : « Le résultat de la guerre de juillet [la victoire du Hezbollah en 2006], a été la formation d’un gouvernement d’union nationale, qui à son tour, a été la conséquence de la performance militaire du Hezbollah lors des affrontements de mai 2008, tous ces facteurs renforçant le Hezbollah et par conséquent, la position de l’Iran au Liban. »
« La visite d’Ahmadinejad a démontré que le Liban n’est plus dans l’orbite des États-Unis », estime Saad-Ghorayeb. « Il est vrai, que [le Liban] n’est pas non plus dans l’orbite iranienne, compte tenu du refus par l’alliance du 14 mars d’un accord de défense avec l’Iran, mais la visite a marqué un net écart par rapport à l’axe des régimes arabes dits ’modérés’ et soutenus par les Etats-Unis. »
Et elle ajoute : « Ceci est particulièrement vrai compte tenu des objections répétées des Etats-Unis et d’Israël - sans parler des menaces - à l’occasion de la visite [du président Ahmadinejda] ».
Cette évolution est devenue tangible lorsque le roi saoudien Abduallah et le président syrien Bachar al-Assad se sont rencontrés au Liban plus tôt cet été. Pour beaucoup, la Syrie, l’Iran et des groupes comme le Hezbollah au Liban et le Hamas en Palestine occupée représentent « l’axe de la résistance », tandis que l’Arabie saoudite et de nombreux gouvernements et groupes politiques de la région soutenus par l’Occident constituent « l’axe modéré ».
Les États-Unis ont longtemps affirmé vouloir négocier la paix au Liban et dans la région, mais nombreux sont ceux ici qui les considèrent comme un négociateur malhonnête qui apporte un soutien militaire et diplomatique massif et quasi inconditionnel à Israël, et cela alors même qu’Israël dévastait le Liban par ses bombardements en juillet-août 2006.
En un contraste frappant avec les Etats-Unis qui considèrent le Hezbollah comme une « organisation terroriste », Ahmadinejad a soigneusement évité lors de sa visite de montrer un soutien particulier à un côté ou à autre dans l’éventail politique libanais. Au lieu de cela, il a cherché à tendre la main aux Libanais de l’ensemble du spectre politique. Il a loué Hariri au cours des rassemblements organisés par le Hezbollah, en dépit de quelques fortes huées dans la foule à la seule mention de nom du premier ministre.
Saad-Ghorayeb compare les stratégies des deux pays. « En contraste avec les responsables américains lors de leurs visites au Liban et avec ceux qui sont à Washington, Ahmadinejad s’est abstenu d’explicitement intervenir dans les affaires libanaises ou de faire des déclarations incendiaires supportant un côté contre l’autre. Il serait inconcevable que les puissances occidentales qui soutiennent le mouvement du mars 14 fassent preuve de la même courtoisie à l’égard des forces d’opposition au Liban. »
Soutien à la résistance
Durant la deuxième et dernière journée de sa visite, M. Ahmadinejad s’est rendu dans la ville de Bint Jbeil au sud-Liban, où une manifestation a été organisée, des dizaines de milliers de supporters du Hezbollah étant ravis d’accueillir le président iranien. C’était le lendemain d’un autre rassemblement de même importance et organisé par le Hezbollah à Dahiyeh.
« Le Liban est l’école de la résistance et de la fermeté contre les forces de l’intimidation dans le monde, » a déclaré Ahmadinejad devant la foule à Dahiyeh. Il a exprimé un sentiment similaire à Bint Jbeil : « Je vous salue, peuple de la résistance ... nous sommes fiers de vous et nous resterons pour toujours à vos côtés. »
Sachant que Ahmadinejad gagnerait un large soutien au Liban en défendant la résistance, les gouvernements américains et israéliens ont fait des déclarations condamnant la visite du président iranien comme une « provocation » avant même qu’il se soit déplacé. Un parlementaire israélien a appelé à l’assassinat du président iranien lors de sa visite au Liban.
Apparemment sans se soucier de ces menaces, les organisateurs de ce rassemblement [à Dahiyeh] ont lancé des milliers de ballons rouges, blanc et vert (les couleurs du drapeau iranien) qui ont ensuite dérivé vers le sud jusqu’à la frontière israélienne à trois kilomètres de là, un acte symbolique de défi vis-à-vis des pressions des États-Unis et d’Israël.
Lors du rassemblement à Bint Jbeil, une jeune femme d’un village dans le sud qui a refusé de donner son nom, a dit : « Regardez les avions de guerre israéliens passant dans le ciel toute la journée. Il existe une autre histoire de cette région [que celle présentée par] les médias occidentaux, c’est celle de l’occupation et cette histoire doit être connue. »
Elle faisait référence aux 22 années d’occupation israélienne du sud du Liban. Il est aujourd’hui établi que c’est cette occupation qui a créé les conditions de la fondation du Hezbollah comme organisation armée avec pour but de résister à Israël. Le Hezbollah a été célébré au Liban et dans tout le monde arabe comme un vainqueur en 2000, lorsque Israël a dû unilatéralement retirer ses forces d’occupation, et il a été célébré à nouveau en 2006, lorsque Israël a été vaincu après 34 jours de guerre totale contre le Liban.
Le rôle du Hezbollah le distingue de tous les autres groupes politiques au Liban. Dans un pays profondément divisé entre des lignes sectaires et politiques, la résistance à Israël est probablement l’une des rares causes pouvant encore réunir une majorité de Libanais.
Matthew Cassel
21 octobre 2010 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction de l’anglais : Naguib
Info-palestine vendredi 29 octobre 2010 -Matthew Cassel - The Electronic Intifada