Entourage de Marcello Venusti
(Mazzo di Valtellina, c.1512/15-Rome, 1579),
Annonciation, c.1570 ?
Huile sur toile, 41,7 x 30 cm, Amsterdam, Rijksmuseum.
En fin d’année dernière, l’ensemble Odhecaton avait fait notre bonheur avec une anthologie de musiques créées par des compositeurs picards de la Renaissance, intitulée O gente brunette (Ramée, cliquez ici), et justement saluée par la critique. Les chantres ultramontains sont aujourd’hui de retour, chez Arcana, avec un disque consacré à une des œuvres les plus célèbres du XVIe siècle, la Missa Papæ Marcelli de Palestrina.
L’extraordinaire fortune critique de ce compositeur qui n’a cessé d’être regardé comme un modèle, au point d’être considéré,
au XIXe siècle, comme le sauveur de la musique religieuse, permet de faire l’économie de trop longues digressions biographiques. Giovanni Pierluigi, né en 1525 ou 1526 dans une
famille modeste de Palestrina, entre au service de la papauté en 1550, lorsque le cardinal Giovan Maria de’Ciocchi del Monte, évêque du diocèse de Palestrina, est élu pape sous le nom de Jules
III et l’appelle pour diriger la maîtrise de la Chapelle Giulia à Saint-Pierre de Rome.
La Missa Papæ Marcelli fait partie du Missarum Liber Secundus, publié à Rome en 1567, mais on ignore, en
revanche, sa date exacte de composition. L’hypothèse la plus probable semble être néanmoins le début des années 1560, au plus tard 1565, date à laquelle la messe fut copiée dans le Codex 22 de
la Chapelle Sixtine. L’œuvre s’inscrit parfaitement dans les enjeux de son temps, cette exigence de clarté structurelle et d’intelligibilité du texte chanté prônée par la Contre-Réforme contre
la luxuriance, éventuellement luxurieuse du fait de l’utilisation de chansons profanes parfois lestes comme cantus firmus, de la polyphonie franco-flamande. Il est néanmoins difficile
de déterminer avec précision si Palestrina s’est plié à des principes qui étaient, au moment où il écrivait cette messe, en cours d’élaboration et sur lesquels il semble que Marcel II aurait
pu, en dépit de la brièveté de son pontificat, exercer quelque influence, ou si c’est précisément sa réalisation qui a joué un rôle important, sinon déterminant, dans l’instauration d’une
nouvelle esthétique en matière de musique sacrée.
Pour servir cette partition majeure, Paolo Da Col a réuni sous la bannière d’Odhecaton (photo ci-dessous) un effectif très
large de 19 chanteurs masculins (6 contre-ténors, 6 ténors, 2 barytons, 5 basses) et leur a demandé de chanter à pleine voix, conformément aux usages du temps. Le résultat est spectaculairement
sculptural, aux antipodes des versions angéliques, voire désincarnées, auxquelles une certaine tradition a pu nous habituer, la musique acquérant ainsi une vitalité et un impact physique
indéniables. Les passages en tutti sont d’une solennité imposante sans être écrasante, car le soin tout particulier apporté à l’articulation et à la fluidité des lignes leur évite tout
empâtement. Les effets de spatialisation sont remarquablement réussis, les réponses et échos soulignent avec pertinence l’architecture très élaborée d’une œuvre que sa clarté peut faire
paraître très simple au premier abord, mais dont une écoute attentive révèle l’attention extrême apportée à la conception. En outre, Paolo Da Col fait varier, avec autant de sensibilité que de
subtilité, son effectif en fonction des exigences du compositeur, ménageant des plages nettement plus intimes servies par des voix solistes, ce qui accentue le caractère recueilli (et non
sulpicien) de sa vision, y compris dans ses parties les plus monumentales.
Cet enregistrement, à mes yeux, de référence, de la Missa Papæ Marcelli inaugure donc une nouvelle approche du répertoire palestrinien et confirme Odhecaton comme un des ensembles actuellement les plus audacieux dans sa conception de la musique de la Renaissance. Je vous conseille très vivement de vous plonger dans cette heure où lumière et sensualité se conjuguent pour nous faire découvrir un visage de Palestrina jusqu’ici insoupçonné, celui d’un homme plus que d’un mythe.
Odhecaton
Paolo Da Col, direction
1 CD [durée totale : 65’12”] Arcana A358. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Missa Papæ Marcelli : Kyrie à 6
2. Victimæ Paschali laudes, Séquence à 8
3. Missa Papæ Marcelli : Agnus Dei à 6 & à 7
Illustrations complémentaires :
Henri-Joseph Hesse (1781-1849), Giovanni Pierluigi da Palestrina, 1828. Lithographie, Paris, Bibliothèque Nationale de France.
Édition imprimée du Kyrie de la Missa Papæ Marcelli.