Novembre sera le mois de l’ESS. En tant qu’acteur associatif impliqué dans des projets liés à l’ESS je me dis qu’une petite analyse critique est aujourd’hui de mise.
La définition classique de l’ESS tourne autour de la structure et la finalité des organisations qui s’en réclament. La structure étant de type coopératif (SCOP, SCIC, etc..) associant les actionnaires et les travailleurs au niveau du contrôle de l’organisation, et la finalité étant multiple mais au minimum respectueuse des principes du développement durable et de la responsabilité sociétales des entreprises (la RSE). Selon cette définition générale on retrouve dans l’ESS des coopératives type AMAP bien sur, mais aussi des mutuelles et des banques tel le Crédit Agricole… Autrement dit l’ESS se définit avant tout par rapport à une forme d’organisation de l’actionnariat, ce qui à mon avis n’a aucun sens. Il suffirait en effet qu’une poignée de Kerviels se constituent en SCOP pour être une entreprise d’ESS, par contre une Sarl classique oeuvrant de manière la plus humaniste possible n’en ferait pas partie. Ayant récemment participé à une Assemblée Générale régionale d’une CRESS il m’est apparu évident que le côté “social et solidaire” ne veut pas dire grand chose, au point qu’un des intervenant posa la question hautement pertinente de savoir si la CRESS était un organisme militant de promotion d’une économie réellement alternative au modèle suicidaire actuel, ou une simple chambre de représentation des acteurs dits de l’ESS parfaitement intégrée au-dit modèle actuel.
Si l’ESS est une proposition pour un système économique alternatif centré sur l’humain, les questions de structure d’entreprises deviennent anecdotiques et la vraie question est d’ordre macroéconomique et politique: comment s’organise t’on pour développer un système économique qui réponde aux besoins de l’ensemble de l’humanité tout en préservant les libertés fondamentales de chacun et la qualité de notre environnement.
Il est évident que l’exemple ne viendra pas d’en haut, trop corrompu par les multiples intérêts particuliers, les dogmes et la dépendance des “élites” au système actuel qui leur permet de se renouveler (grâce à un système éducatif de plus en plus inégalitaire) et de leur assurer un excellent train de vie (cumuls des mandats, pantouflage, lobbying, etc..). Le dogmatisme économique en est au point ou même le directeur actuel de la Banque Mondiale Robert Zoelllick fustige les économistes ayant tendance à suivre “des lubies et des modes” et à édifier des tempes de la pensée qui se sont “souvent écroulés sous les assauts de la réalité“. Zoellick opère ainsi clairement à contre-courant de l’école dominante issue du consensus de Washington prônant le libéralisme économique comme seule recette d’un développement réussi. C’est dire si le système actuel fonctionne mal, et pourtant: Jean-Claude Trichet, directeur de la BCE dans un récent discours devant les directeurs des banques centrales US et japonaises, en est toujours à prôner un développement économique basé sur le modèle Ricardien ou la théorie des avantages comparatifs, en oubliant que ce modèle a priori efficace ne fonctionne qu’au prix de quatre hypothèses dont aucune n’est remplie dans le monde réel, à savoir: la valeur du travail est égale au prix multiplié par la quantité de travail ; la concurrence doit être parfaite ; il doit y avoir immobilité des facteurs de production au niveau international (seules les marchandises circulent) et enfin la productivité doit être constante.
Ces dogmes, ces théories hors contexte font le lit du libéralisme sauvage et alimentent le système financier capable d’opérer uniquement en mode prédateur. Ces faux discours sont pourtant à la base de la formation initiale de tout économiste ou technocrate moderne. L’ESS n’a de sens que dans le combat contre cette “économie” prédatrice et destructrice, et elle ne peut se battre qu’en soustrayant à ces appétits insatiables le plus possible de ressources afin de nourrir un circuit économique centré sur le bien être humain plutôt que le résultat comptable. Sur la qualité plutôt que la quantité. La création de structures de type coopérative est sans doute un élément nécessaire de cette construction, mais certainement pas suffisant. Il faut qu’il existe d’une part une chaîne économique relativement complète à l’échelle d’un territoire donné, et d’autre part qu’il existe une homogénéité des coûts de production sur ce territoire – et donc une protection contre la concurrence basée sur un simple déséquilibre des coûts de production, concurrence qui revient à déshabiller Pierre pour habiller Paul. Dans un tel contexte, la théorie des avantages comparatifs, par exemple, pourra jouer positivement entre des territoires comparables en termes de coûts.
L’existence d’une chaîne économique complète est nécessaire car elle seule permet l’existence d’une grande variété de métiers (de l’importance d’avoir un métier plutôt qu’être un simple loueur de ses propres bras – voir Hannah Arendt), permet d’éviter les coûts directs et surtout indirects liés au transport, permet une plus grande résilience en cas de crises (problème-type des monocultures et de la spécialisation en général), et permet à la monnaie de circuler plus efficacement.
J’ai abordé la question des monnaies locales dans plusieurs billet précédents donc je ne m’étendrai pas sur le sujet ici, sauf pour dire que l’accès à une monnaie non spéculative est essentiel pour les opérations au sein d’une économie sociale et solidaire.
Ces principes de relocalisation économique sont également à la base des “villes en transition” qui cherchent à limiter leur dépendance pétrolière et leur impact climatique. Une telle ville en transition est sans doute un premier pas vers une ville de l’économie sociale et solidaire digne de ce nom, mais la ville seule ne peut se suffire à elle-même et il faut donc raisonner à un niveau supérieur, par exemple régional.
Pour résumer, quels seraient les éléments nécessaire à la création d’une réelle économie sociale et solidaire, au-delà d’un label apposé à un certain type de structure?
1) Un maillage de périmètres économiques disposant chacun d’un circuit le plus complet possible et protégé d’une concurrence déloyale structurelle (par ex. différence importante des coûts de production).
2) Des entreprises organisées autour de la création de valeur humaine et sociale plutôt que financière ou institutionnelle.
3) Des monnaies non spéculatives.
4) Un système social basé sur un revenu garanti, pas nécessairement uniquement monétaire.
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