Georges Brassens nous a quittés le 29 octobre 1981. Qui mieux que Louis Nucéra son ami, aurait pu nous en parler comme il le fît dans son ouvrage Mes ports d’attache.
« Brassens ? Il se divertissait à jouer les anciens qu’il convient d’écouter si l’on ne veut pas faire de sottises. Il maniait l’antiphrase en orfèvre et agitait sous le nez de celui qu’il sermonnait non pas son index mais deux doigts réunis (l’index et le majeur de la main droite) afin de donner plus de poids à la mise en garde. On eût dit un maître qu’un élève vient de pousser à bout. En vérité, il rigolait. Il était du Midi, l’authentique, ce Midi qui se plaît à feindre, s’en amuse, et préfère s’exprimer mezza voce que jargonner à tue-tête. Ses fausses colères étaient sa comédie.
Il se défiait du bourrage de crâne, des affirmations hautaines. Son émotivité était saine. Il connaissait le proverbe chinois : « dans l’eau pure, pas de poissons », mais ne croyait pas que l’inconduite, l’immoralité, l’irrespect, la méchanceté fussent des forces essentielles à l’inspiration. Il reprenait l’affirmation de Renan : « On ne devrait écrire que sur ce que l’on aime ; on voit la vérité dans les choses que l’on aime ». C’est sur le meilleur de sa personne qu’il se fondait. Modestie, probité, pondération appartenaient à ce fonds. « Je suis trop conscient de mes insuffisances. Quand on m’interroge, j’ai toujours peur de débiter des conneries dont j’aurais honte des années après. Je ne sais s’il y a plus d’imbéciles qu’avant mais j’ai l’impression qu’ils se manifestent davantage, qu’on leur demande plus souvent leur avis qu’autrefois. Ce manège leur donne de l’importance et les rend redoutables car ils croient à cette importance. Ils disposent de moyens d’expression. Ils en usent et abusent. Ca aussi c’est une mode : s’exprimer ! On oublie qu’il y a des gens qui s’expriment mieux en se taisant. Moi aussi, d’ailleurs, je ferais mieux de me taire. Il faudrait vivre comme si ces farceurs involontaires, ces bavards infaillibles, ces charlatans n’existaient pas. C’est difficile ! On en trouve toujours plus sur notre route, sur nos ondes, nos écrans. »