Népomucène n’a pas été pour rien maître es art d’économie et de politique. Il a compris que, puisqu’on pouvait faire négoce de tout et de n’importe quoi, le mieux était encore de vendre du vent. Il s’est donc fait donneur d’avis à l’enseigne du « Conseiller du Prince ». Cet intitulé n’est pas seulement une espérance, c’est aussi une histoire. Avant de débiter ses conseils à n’importe quel client pourvu qu’il ait les moyens de les acheter, Népomucène a commencé sa carrière comme conseiller privé d’un grand. Il est resté à son service trois lustres, le temps de lui souffler des idées qui ne paraissaient nouvelles que parce qu’on avait cru, à tort, que le laisser faire, laisser passer des physiocrates était définitivement obsolète (*).
Les mauvais esprits, il y en a toujours, s’amuseront de constater que Népomucène a gardé de cette époque une image vaguement progressiste que la postérité, si elle prend la peine de feuilleter la quarantaine de livres dont il a alourdi les bibliothèques universitaires, aura beaucoup de mal à comprendre. Notons au passage qu’à l’imitation du chauffeur de Jacques Chirac ou du maître d’hôtel de Mme Bettencourt, Népomucène a livré au public les petits secrets de son patron sous la forme de trois forts volumes portant, sans doute pour faire moderne, le même titre qu’une marque connue de consommables informatiques. Invité à donner son avis sur cette œuvre, son ancien employeur s’est contenté de noté que Népomucène « avait le guillemet facile ». Moins indulgents des historiens et des journalistes bon connaisseurs de cette période ont relevé dans cet écrit, les approximations à la pelle et les erreurs au tombereau.
Mais revenons au « Conseiller du Prince ». L’avis n’y est pas débité au menu à prix fixe. Soucieux de maintenir un certain standing, Népomucène n’accepte de travailler qu’à la carte. C’est d’ailleurs la clé de son succès, il ne sussure à l’oreille de ses clients que les mots, mondialisation heureuse, fusion-acquisition, bénéfices défiscalisés ou rigueur salariale qu’ils ont envie d’entendre.
Son dernier, gros, client est le successeur de son premier patron. Cet homme est un grand amateur de réforme quand ce mot a le sens qu’on lui donne dans l’expression « matériel réformé ». Il a passé à Népomucène une si grosse commande de conseils en tous genres que le « Conseiller du Prince » a du, pour y répondre renforcer sa brigade avec des collaborateurs extérieurs (**). Cet aéropage d’intelligences intitulé « Commission pour la libéralisation de la croissance » (au nom du principe qui veut que, plus le cadeau est mince, plus l’enveloppe doit être somptueuse) s’est aussitôt mis au travail. Le résultat a dépassé les espérances du commanditaire qui n’a retenu qu’une partie des recommandations qui lui étaient faites. Soyons juste, la mise en œuvre du peu qui a été conservé se révèle si difficile qu’on se demande comment, tout volontariste que soit le client en question, il pourra appliquer le centième de ce que recommandent ses conseillers dans leur seconde livraison.
Peu importe à Népomucène. Quoiqu’il arrive, échec ou succès, son discours est tout prêt. Si la réussite est au rendez-vous, ce sera grâce à ses excellents avis. Si c’est un fiasco, eh bien on aura mal compris ce qu’il s’était pourtant exténué à expliquer. Merveilleux Népomucène qui a réussi à compléter le vieux dicton : avec lui, les conseilleurs ne sont, certes pas les payeurs, ils sont les payés, même et surtout s’ils sont impayables.
(*) Cet adjectif est indispensable dans tout écrit parlant de près ou d’extrêmement loin d’économie et d’économistes.
(**) On remarquera que, contrairement aux devins de l’antiquité qui, selon Cicéron, ne pouvait se croiser sans rire, nos modernes haruspices ont pour principe d’afficher, en toutes circonstances, une tête de croque-mort