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J’avais délaissé les rives où s’écoule le fleuve des mots.
Muré en mon silence, je regardais passer le temps,
Et les convois protestataires.
*
Vous me rappeliez
A juste titre
Mes propos
Lâchés
Ici ou là
.
“Je suis extrêmement méfiant vis-à-vis de tout ce qui cherche à s'établir comme vérité absolue et définitive, me tiens à distance de ceux qui prétendent avoir raison”
.
Vous aviez raison
La contradiction est évidente
Ou
Du moins apparente
.
On ne peut inviter à la méfiance
Et appeler à l’insurrection
.
Seul problème
Est qu’elle s’en vient
Posant la question
Constante
De ma place
*
Poésie peut-elle battre un pavé
Qui ne lui a rien fait
Sans perdre son âme
Rejoindre foule tonitruante
.
Poésie doit-elle demeurer
A l’écart
Sur le trottoir
Regardant passer l’histoire
.
Muette devant les indignes soumissions
Poésie serait de quel bord
.
Bâbord ou tribord
Qu’importe
Lorsque le navire prend gite
Proche de sombrer
En eaux profondes d’injustice
Poésie
Devrait prendre gouvernail
.
Car c’est d’humain qu’il s’agit
En longues cohortes étranglées
Sacrifiées
.
Tant qui ne savent dire mot
Que ceux qui en ont l’art
Me semblent être dépositaire d’un devoir de conscience
*
Vous aviez tellement raison
Qu’il me fallait prendre distance
Peser dans ma balance
Ce qui des uns ou des autres m’appelait
.
Mes mots dits
Pour dire les maux
En multiples misères
.
Mes maudits mots
Comme fleuve qui roule
Emportant toute raison
Balayant toutes vérités
.
N’en restait qu’une
Celle de grandir en humanité
Quitte à commettre l’erreur
De choisir bâbord contre tribord
Juste avant de couler
Dans un grand rire d’étoiles
.
Nos voiles
Alors
Surnageront un moment
Sur la planète océan
Juste avant que vie ne reprenne ses droits
*
Nous serons peut-être
Poètes
Les ultimes capitaines
Coulant avec leur navire
.
Notre devoir
Est de mettre femmes et enfants à l’abri
De sauver ce qui peut encore l’être
Lorsque le vent d’iniquité souffle en rafale
*
Quelle force a votre raison
Qui m’oblige à justifier l’évidence
.
Mon métier d’homme
Est d’être là où les hommes tentent
De scier chaînes et barreaux
Pour une hypothétique liberté
Qui toujours les fuit
*
« Souffre un moment encor ; tout n’est que changement.
L’axe tourne, mon cœur ; souffre encore un moment.
La vie est-elle toute aux ennuis condamnée ?
L’hiver ne glace point tous les mois de l’année. »
André Chénier (1762-1793), Elégies
.
Manosque, 4 octobre 2010
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