Pourtant ce geste indélicat était une manière de s'opposer au gouvernement britannique de l'époque qui avait pris deux décisions successives, fautives à la fois sur le plan économique et sur le plan du droit.
Pour renflouer sa trésorerie, sans que les colonies américaines n'aient leur mot à dire, puisqu'elles n'étaient pas représentées du tout au Parlement de la métropole, il avait fortement augmenté les taxes et plus particulièrement la taxe sur le thé.
N'arrivant pas à écouler ses stocks pléthoriques de thé, la Compagnie anglaise des Indes orientales avait obtenu l'exorbitant privilège d'être exemptée de cette taxe, ce qui lui permettait d'être moins chère que les petits marchands et, même, que les contrebandiers. Du coup un boycott avait été organisé contre elle par les habitants des colonies américaines, avec pour conséquence de l'empêcher de débarquer du thé dans les ports américains.
A Boston la Compagnie essaya donc de passer en force avec l'appui du gouverneur et de l'armée. Un commando de 60 habitants de la ville, déguisés en redoutables amérindiens, monta à bord des trois navires de la Compagnie avant qu'elle ne débarque sa marchandise et répandit dans le port le thé contenu dans 342 caisses avant de les remettre en place, vides. C'était la première Tea Party de l'histoire.
A l'origine, la Tea Party, celle de Boston, est donc une manifestation de la société civile contre une fiscalité confiscatoire et ruineuse, décidée par l'Etat, sans son consentement, et contre des passe-droits accordés par l'Etat à certains au détriment des autres.
A la suite du ruineux plan de relance de 789 milliards de dollars adopté par le Congrès américain en janvier 2009, le Président Barack Obama annonce le 18 février 2010 qu'une aide de 75 milliards de dollars supplémentaires sera accordée aux propriétaires de maisons risquant d'être saisis en raison de leur insolvabilité.
Le lendemain, 19 février 2009, un journaliste de la chaîne CNBC, Rick Santelli, lance en direct, depuis le Mercantile Exchange de Chicago, l'idée d'une Tea Party, en juillet, dans cette ville, rassemblant "tous les capitalistes", pour protester contre cette subvention accordée aux emprunteurs imprudents en la prenant dans la poche de ceux qui ne l'ont pas été.
Un mouvement est né. Et ce mouvement va prendre de l'ampleur à chaque nouvelle annonce de dépenses publiques pharaoniques, notamment celles que va engendrer la réforme de santé imposée par Obama. Cela se traduit par des réunions de plus en plus nombreuses et de plus en plus importantes un peu partout dans le pays.
Au début traité par le mépris, ce mouvement est maintenant calomnié, depuis que des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées à Washington le 12 septembre 2009 et le 12 septembre 2010 [la photo provient d'ici] à l'appel, entre autres, de Freedomworks ici, des Tea Party Patriots ici, de la National Taxpayers Union ici et de l'Institute for Liberty ici. La date du lendemain du 11 septembre n'a pas été choisie au hasard. Elle évoque une Amérique qui se redresse dès le lendemain d'une adversité historique.
Ce mouvement hétéroclite est en effet dangereux pour tout le monde politicien, républicain aussi bien que démocrate, parce que difficile à contrôler. Il remet complètement en cause les certitudes sur lesquelles sont basées les politiques étatiques occidentales des dernières années, portées au paroxysme de leur nuisance après la crise de 2008.
Au-delà des divergences, des différences et des colères mal contenues parfois, il s'agit avant tout pour les Tea Partiers de faire baisser les impôts, de réduire drastiquement la dette publique et les dimensions de l'Etat - trop grand pour ne pas tomber -, de donner davantage de liberté aux citoyens qui doivent décider de leur propre sort.
Ce sont ces objectifs libertariens qui font peur aux uns et qui en réjouissent d'autres, dont je fais partie. Car le plus important est le changement complet de mentalité que les Tea Partiers sont en train de déclencher, aux Etats-Unis même, où ceux qui étaient censés défendre l'économie libre, l'ont trahie et provoquer la crise.
Le plus réjouissant pour ceux qui sont attachés au principe de subsidiarité est que ce mouvement spontané, n'en déplaise à ceux qui le dénigrent du haut de leur piédestal et qui voient des comploteurs partout, part du bas vers le haut, ce qui est un mouvement d'ascension on ne peut plus naturel et prometteur.
D'aucuns - des catholiques qui ont toujours beaucoup de mal avec les libertés économiques - reprochent aux Tea Baggers leur individualisme, d'autres - des penseurs libertariens - pensent qu'ils seront récupérés par le système, une fois que leurs candidats seront élus, s'ils le sont. Peut-être. Peu me chaut.
L'essentiel est qu'après seulement deux ans de dégâts l'Etat fédéral américain apparaisse de plus en plus aux Américains comme le problème et non pas comme la solution. Ce qui n'est pas indifférent pour le reste du monde.
Francis Richard