Bilan d’une bonne cuite

Publié le 28 octobre 2010 par Copeau @Contrepoints

Bon, la loi est votée. Elle n’est pas encore promulguée, ce qui peut laisser encore quelques rebondissements, mais on peut déjà tirer un premier bilan des actions syndicales couillues et des protestations vigoureuses de l’opposition officiellement socialiste.

Pendant le mois qui vient de s’écouler, on aura donc eu 3.5 miyons de gens dans les rues selon les syndicats, un peu plus d’un miyon selon la police et autour de 750.000 selon les sociétés et les journalistes qui ont, effectivement, compté. D’ores et déjà, on peut tirer cette conclusion : au moins un de ces groupes se trompe.

Pendant tout ce mois, nous aurons eu aussi des centaines de kilomètres de bouchons (selon les automobilistes, la radio, la police et les syndicats, dans un bel accord), des milliers de stations services à sec (sauf pour le gouvernement, évidemment), des centaines de PME un peu juste en trésorerie qui vont fermer, et des chiffres du chômage qui atteignent maintenant 4 millions de personne selon le gouvernement, la police, et les syndicats – là encore, l’ensemble est cohérent – et probablement le double si on les comptait vraiment.

Personne ne pourra nier que la production française, pendant ce mois chahuté, aura très certainement faiblit. Certes, la productivité des Français est légendaire, mais il n’y a pas de miracle : quand ils ne peuvent se rendre à leur travail ou qu’ils font griller des saucisses dans la rue, fatalement, le rendement diminue tout de suite. Il est à noter une nette amélioration du lancer de fumigènes tant de la part de la police que de la part des manifestants. On sent que les jeux olympiques approchent. L’entraînement a du bon.

Pour autant qu’on puisse en juger, le port de Marseille est toujours bloqué et (au moins) cinquante bateaux de gros tonnage continuent à explorer les bucoliques calanques et découvrir les joies de la gastronomie locale en attendant que le temps passe : l’immobilisation de ces navires coûte une fortune à leurs armateurs et à toutes les entreprises qui dépendent de leur contenu, le tout dans la parfaite décontraction qui sied au sabotage légal des activités commerciales en France.

Dans le même temps, le scandale des foreclosures américaines s’est déplié lentement, dévoilant une nouvelle montagne de dette ramenant en comparaison la crise des subprimes au rang de petit pâté de sable. Nos journalistes, toujours aussi prompts à éclairer leur public avec des articles pertinents sur les sex-toys et les activités des enfants de Copé, se sont donc mis en quatre pour expliquer le problème et … Ah bah non.

Les bourses continuent tranquillement d’évoluer dans la plus parfaite atonie, les volumes n’étant plus que l’ombre de ce qu’ils furent pendant les périodes stables. Le papier continue parallèlement à être aspergé sur les marchés au kärcher par la Fed et la BCE, qui absorbent à peu près tout sans produire le moindre effet bénéfique sensible sur l’économie. Là encore, la presse économique et la presse traditionnelle se sont lancés dans une série de reportages, d’analyses et … Ah zut encore, on s’en fiche semble-t-il.

Bref : ce mois se sera écoulé de manifestations en inactions sociales, de petits caillassages en exactions diverses, de paralysie en blocage, … Et tout ça pour quoi ?

Rien.

La réforme arrive beaucoup trop tard, est beaucoup trop timide, vraiment trop mal fichue, trop étatique pour servir à quoi ou à qui que ce soit.

Les syndicats se sont complètement discrédités en agissant toujours comme une cinquième roue de carrosse, à contre-temps : alternatives inexistantes, mots d’ordres foutraques et généralistes.

L’opposition, inaudible la plupart du temps, n’a jamais pu proposer, même de loin, une option crédible et chiffrée qui tienne la route ; en outre, tout le monde sait pertinemment que la réforme votée ne sera pas touchée d’une virgule par cette même opposition si elle parvient à son tour au pouvoir, montrant sa parfaite duplicité dans le discours qu’elle a beau jeu de tenir maintenant, larmes aux yeux et sanglots dans la voix.

Quant aux Français, si l’on écarte les bleus et horions, ils n’ont absolument rien récolté de concret : aucune assurance que le système tiendra, ni même qu’il sera à l’équilibre un jour (à la limite, c’est même le contraire) ; aucun bénéfice politique tant les clivages se sont simplement accrus ; aucun bénéfice social tant ceux qui profitent actuellement de leur retraite paraissent bien logés par rapport à ceux qui vont se bousculer dans les 50 prochaines années pour tenter de toucher un petit quelque chose qui apparaît de plus en plus chimérique.

Il n’y a plus guère que les affidés de la droite pour claironner en sourdine un succès ou une victoire, et les forcenés de gauche pour déclamer des odes poignantes sur un mouvement qu’ils fantasment national et puissant là où le troudebalisme se disputait à la mauvaise foi ou à la simple dilettante.

Tout ceci ressemble fort à un lendemain de cuite carabinée.

Les couverts sont par terre, les petits fanions colorés, défraîchis et froissés, jonchent un sol devenu glissant des renversements successifs de matières diverses et louches, et les convives se remettent lentement debout, la coiffure improbable, l’œil vitreux et l’haleine corrosive à décoller le papier peint.

Tout le monde se rappelle d’une vague empoignade sur la fin du repas, dans laquelle une demi-douzaine de pochetrons avinés se sont bien foutus sur la gueule en braillant des slogans alcoolisés et quasi incompréhensibles. Mais la raison initiale de la castagne, plus personne ne saurait la dire exactement.

La gueule de bois s’installe, et la migraine risque d’être sévère.

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