La fin de R. comme poète, par Kathy Acker

Publié le 28 octobre 2010 par Les Lettres Françaises

La fin de R. comme poète, par Kathy Acker

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LONDRES: Tamise, qui parfois gonfle, parfois devient un dérangeant petit torrent de boue, des ponts sans fin avec des débarcadères rouge sang, des docks « incroyables », des rues toujours combles d’activités urbaines et mercantiles, une ville très riche dans un pays devenant plus pauvre, des bâtiments fumants, de moins en moins d’endroits pour les pauvres qui augmentent. Sauf sous les ponts et les édifices qui doivent être ravalés, vidés de leurs habitants, et autres divertissements des riches.

Madame V. avait commencé la procédure de séparation (cependant il n’y avait pas encore de divorce) à l’encontre de V.

V. ne pouvait pas supporter de perdre l’enfant. Ce que voulaient donc les deux V. c’était échapper à R.

À Londres.

Le seul choix de R. était de fuir de la folie à la mort, ou de comprendre que l’expérience, pour avoir une relation humaine, honnête, avait échoué. R. à V. : « Je ne vais plus te demander quelque chose, je ne vais plus espérer que tu sois le père que je n’ai jamais eu. Je retourne mon enfance contre moi. Je te libère de tout ce qui nous unit. »

Quelque chose se brisa.

R. dit à tous ses amis, une ou deux personnes, qu’il avait commis une faute, assez extrême pour être un péché, car il n’a jamais négligé le Saint-Esprit en essayant d’aimer, et même maintenant où il n’y avait plus d’amour. Il avait commis une faute en essayant d’aimer un homme, pas celui qui s’engagerait devant les autres par le mariage, mais celui qui ne l’aimait ni le révérait. V. écrivit à son ami Lepelletier, décembre 1872, « Ma vie va changer. » La lettre continuait ainsi : « Cette semaine R. retourne chez sa mère et ma mère vient ici. »

La famille nucléaire est désormais la seule réalité. R. commence à écrire ce qu’il appela sa Saison en enfer. « Je ne veux pas vraiment savoir. « Écoute. Tu dois savoir. Tu dois comprendre. « Une nuit. « Si ma mémoire vaut quelque chose, il y a longtemps ma vie était toujours des vacances que les gens me voulaient et que tous étaient ivres ou défoncés. Une nuit, croyant que j’étais fort, je m’emparais de l’Amour. Je l’ai trouvé – blessant. Je lui ai dit de quitter mon existence et pour toujours – je le haïssais – bien que je l’aimasse. « Je m’armais contre l’amour en devenant une arme; je le blessais ‘afin de pouvoir m’échapper. Ô sorcière maléfique – Manque, Haine –, c’est à toi que je me confie maintenant que je suis mort. « Et je parvins donc à renoncer à tout espoir d’amour humain. Comme tout animal affamé je sautais alors sur toute marque d’affection qui se présentait et je la tuais. « Alors que j’étais en train de mourir, je téléphonais à mon tortionnaire pour le supplier de donner n’importe quelle partie de son corps. Car j’avais faim. Je ne peux me souvenir ce qu’il a dit. Puis il répliqua qu’il était trop occupé pour moi. Alors je me tournais vers le sida et lui demandai de me suffoquer avec le mucus, puis avec le sang. Quand j’étais vraiment en train de mourir, je voulais mourir. Quand j’étais en train de mourir, le désespoir devient mon seul dieu. Je me vautrais dans cette fange. « Je me soignais, des larmes, en te haïssant en me tournant vers tout ce que n’était pas ton âme bourgeoise, en me tournant vers le crime.« J’ai joué des jeux avec la folie. « Et à la fin de ce terrible printemps j’ai appris le rire terrifiant d’un idiot. « Maintenant, en me souvenant de toi sans relâche, de nouveau sur le point de mourir pour la dernière fois, je sais qu’il y a un mythe grâce à mes rêves. Je rêve de trouver la clef du mythe de mes désirs. » R. et V. rompirent définitivement.

« Malgré le rêve du démon qui me nourrit et me couronne avec ces pavots de dégoût de moi, couvre toujours mes oreilles et d’autres points de ma chair avec ces mots : « Tu demeureras une hyène, un animal désespéré, un monstre, etc. Des hyènes avortées ne peuvent être aimées. Donc chaque fois que tu as un désir, le désir m’apportera la mort. En d’autres termes : les gages du péché (désir, pitié de soi, etc. etc.) ajoutent au péché un autre péché appelé ignorance, sont morts. » « Cher Satan. Ne sois pas si fâché avec moi. C’est simplement que je suis allé trop loin. « Toi. Tout en sachant que je suis un lâche de différentes petites façons, pour toi qui aimes l’absence de penchant pour le moralisme ou le réalisme social chez un écrivain, je vais déchirer des pages hideuses et trop surchargées de mon carnet de notes sur la damnation.»

Le sang païen resurgira.

Traduit de l’anglais par Gérard-Georges Lemaire
Extrait de Rimbaud, In Memoriam to Identity, Kathy Acker, Grove Press, New York, 1990.
Kathy Acker est née en 1948 et décédée en 1997. Œuvres traduites en français : – Florida, traduit par Gérard-Georges Lemaire, l’Ennemi, Christian Bourgois éditeur, 1980. – New York en 1979, traduit par Gérard-Georges Lemaire, l’Ennemi, Christian Bourgois éditeur, 1982. – Don Quichotte, traduit par Patrick Hutchinson, édition Noël Blandin, 1986. – Grandes Espérances, traduit et présenté par Gérard-Georges Lemaire, «Les Derniers Mots », Christian Bourgois éditeur, 1988.