La Nouvelle Galerie Nationale à Berlin, construite par Mies van der Rohe, a un rez-de-chaussée aux parois de verre et, par un beau et glacial dimanche hivernal, est inondée de soleil. La lumière pénètre aux fins fonds du Labyrinthe que Jannis Kounellis a édifié là (jusqu’au 24 Février), elle éblouit, empêche de bien voir et fait danser les motifs abrasés des hautes parois de fer surmontées de morceaux de charbon. Avant de pénétrer dans cet univers de noirceur, on contourne un congrès de chaises supportant des sacs de charbon, on évite des couteaux aiguisés sortant du mur et on contemple nostalgiquement une colonie de machines à coudre sur de vieilles tables en bois.
D’abord, dans le labyrinthe, on va de mémorial en mémorial, comme sautant d’un caillou à un autre. Le premier, emblématique, éclairé d’une bougie, célèbre Marat et Robespierre, Liberta o Morte (ci-contre); le second est un oeuf blanc resplendissant au milieu de cette noirceur ensoleillée, le suivant un petit bout de ouate blanche avec une mouche noire. Les murs sont sales, une meule abrasive y a dessiné des formes étranges, on croit y voir émerger des visages, des anthropométries peut-être; de la poussière de charbon les recouvre, on voudrait être venu en combinaison blanche pour s’imprégner véritablement, ressortir marqué, maculé.
Plus loin, en s’enfonçant, on rencontrera des sacs de charbon, mais aussi de pois, de fèves, de grains de café ou de maïs; ils sont en toile de jute grossière et portent des noms de provenances exotiques, Madagascar, Kenya, Cameroun : le tiers monde est ici convoqué, comme un intrus discret, un pourvoyeur. Là, une chevelure noire luxuriante, trophée colonial aussi, s’échappe d’un ballot sur une chaise. Soudain un mur de pierres blanches barre le chemin, des rouleaux de plomb laissent apparaître les traces de couleur de tissus emprisonnés (ci-contre).
Face à elle, on est saisi : cette masse de laine cardée noire et blanche tendue sur un châssis a forme humaine, ou peut-être animale, elle évoque prison et supplices. On trouve encore des cloches, des petits plateaux recouverts de poudre de café, et, tout au fond du labyrinthe, un vestiaire avec 14 paletots noirs suspendus à des crochets : le corps, absent, réapparaît, évoquant des absents, apôtres, conspirateurs.
On ressort, on respire, on s’étire au soleil. Sur un mur de trente plaques de fer, trente fragments de visage décomposé, yeux, oreilles, bouches, nez, semblent s’envoler, dispersés par le vent.
Bien sûr, il est question ici de labyrinthe, de temple grec, d’histoire, et aussi du Minotaure, de la violence et de la destruction; de masculin et de féminin aussi, d’alchimie et de religion, tous les thèmes qui habitent l’oeuvre de Kounellis depuis toujours. Mais le plus fascinant ici m’a semblé être la manière dont l’espace labyrinthique tortueux de Kounellis s’inscrivait dans l’espace rationnel classique de Mies van der Rohe : un parcours fermé, opaque, contraignant à l’intérieur d’une aire libre. Et j’aime l’idée qu’il ait dessiné ce labyrinthe non pas en studio, mais in situ, en déambulant sur le plateau, en suivant les champs magnétiques qui l’emmenaient ici ou là, en dansant en quelque sorte, comme on peut dire que Pollock dansait.
Photos de l’auteur, excepté 2 et 5 provenant du catalogue.