Chômage des « jeunes » dans le monde : une génération de perdue ?

Publié le 13 août 2010 par Tnlavie

Le taux de chômage des jeunes devrait atteindre en 2010 un niveau record depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, créant une situation de tension sociale et de multiplication des violences, estime l’Organisation internationale du travail (OIT) dans un rapport, rendu public jeudi 12 aout 2010,  à l’occasion de l’ouverture de l’Année internationale de la jeunesse.

L’objet de cet article est de tenter d’analyser ce rapport de manière plus critique que la plupart des médias ayant repris l’information hier.

Selon cette organisation dépendant de l’Onu, un peu plus de 13% des 15-24 ans devraient se trouver sans emploi à la fin de cette année dans le monde, soit un taux légèrement supérieur à celui de 2009, mais marquant une nette aggravation depuis 2007.

Le rapport montre que sur les 620 millions de jeunes économiquement actifs, âgés de 15 à 24 ans (en âge de travailler), 81,2 millions étaient sans emploi fin 2009, soit le plus haut chiffre jamais atteint.

Entre la fin de 2007, lorsque les effets de la crise économique et financière ont commencé à se faire sentir, et la fin de 2009, le nombre de jeunes sans emploi a augmenté de 7,8 millions. En seulement 2 ans, il s’agit d’une véritable explosion, si l’on compare ce chiffre avec la hausse annuelle moyenne du chomâge de 191.000 jeunes au cours des 10 dernières années.

« L’incapacité a trouvé un emploi crée un sentiment d’inutilité et de désoeuvrement parmi les jeunes qui peut conduire à un accroissement des crimes, des problèmes de santé, de la violence, des conflits et de la consommation de drogue« , estime le rapport.

Les pays en voie de développement les plus touchés… mais aucun pays épargné.

Malgré une reprise économique mondiale « prévue » en 2011, le chômage des jeunes devrait continuer à s’aggraver. Cette dégradation devrait se faire à un rythme plus lent, sauf au Proche-Orient et en Afrique du Nord où elle devrait s’accélérer. Dans ces pays à faible revenu, où vivent près de 90% des jeunes, on recense 152 millions de jeunes (28% de la population active) de cette catégorie d’âge, qui, bien que travaillant, vivent encore dans l’extrême pauvreté, au sein de foyers gagnant moins d’un euro par personne et par jour en 2008.

« Dans les pays en développement, la crise commande la vie quotidienne des plus pauvres« , a commenté le directeur général du Bureau international du travail (BIT) Juan Somavia. « Les effets de la crise économique et financière menacent d’aggraver les déficits de travail décent préexistants chez les jeunes; avec pour résultat une augmentation du nombre de jeunes travailleurs bloqués dans la pauvreté, prolongeant le cycle de la pauvreté au travail d’une génération au moins »

Selon l’OIT, les Etats-Unis, l’Union européenne et les anciens pays du bloc communiste devraient également être touchés par le phénomène. Environ 45% de cette hausse du chômage touche la population de pays industrialisés, principalement en Europe centrale, de l’est et du sud (Estonie, Lettonie, Lituanie, Espagne).  Aux Etats-Unis, le chômage des jeunes a augmenté de 8 points de pourcentage à 18%.

« Les jeunes sont les vecteurs du développement économique. Se priver de ce potentiel est une perte économique et peut peser sur la stabilité sociale. La crise peut être une occasion de réévaluer les stratégies pour traiter des problèmes auxquels les jeunes sont confrontés en entrant sur le marché du travail »,  estime Juan Somavia, directeur général de l’OIT.

Pour l’OIT, il existe un risque de « génération perdue »

L’OIT met donc en garde contre le risque d’une « génération perdue », constituée de jeunes gens « qui sont totalement détachés du marché du travail et ont perdu tout espoir de pouvoir travailler pour gagner décemment leur vie ».

Ces jeunes « font toutes les démarches mais les portes se ferment devant eux« , a ajouté Sarah Elder, co-auteur de l’étude et économiste au BIT.

Pour lutter contre cette situation, le BIT a appelé les gouvernements à maintenir leurs programmes de soutien pour l’emploi des jeunes, malgré les coupes budgétaires annoncées ces derniers mois.

La situation en France et en Europe

Le taux de chômage des jeunes actifs en recherche d’emploi, de 15-24 ans a été publié fin février 2010: 20 % en moyenne en Europe, 25 % en France, 26 % en Italie, 39 % en Espagne, mais 20 % au Royaume-Uni et 10 % en Allemagne.

Si l’on rapporte le nombre de jeunes chômeurs – 609 000 – à la totalité de leur classe d’âge (dont un bon paquet d’étudiants…) - 7 833 709 -, on découvre alors – et c’est plutôt rassurant – que seuls 7,8 % des jeunes Français de 15 à 24 ans sont au chômage, soit… moins que la moyenne européenne (qui est de 8,2%) ! »

Les jeunes chomeurs de cette catégorie d’âge sont donc pour le plus grand nombre sortis du système scolaire ou universitaire avec un niveau de formation très faible.  Toutes les études le montrent, le diplôme est encore la meilleure protection contre le chômage, mais les phases de raréfaction de l’embauche conduisent à une déqualification des emplois, les plus diplômés acceptant des postes occupés dans les phases de haute conjoncture par des diplômés de niveaux intermédiaires ; en fin de chaîne ce sont les moins qualifiés qui pâtissent le plus de la basse conjoncture.   Dans les pays développés, il serait donc plus intéressant de publier les chiffres de la classe d’âge 24 – 30 ans, qui après des études secondaires ne parviennent pas à décrocher un emploi. En France, selon une étude publiée par une agence d’emploi, il semblerait qu’en 2009, en France, 35% des 20-30 ans occupe un poste, 18% est encore étudiant, 11% est au chômage (mais ont déjà travaillé), et 6% est à la recherche d’un 1er emploi.L’évolution du taux de chômage en France de la tranche 25-29 ans est passée de 17% en 1994 à 25% en 2008 tandis que la tranche des 15-24 ans passaient de 40% en 1984 à 30% en 2008 (cf graphe plus haut, source INSEE). Pas de panique pour les 15-24 ans donc. La situation parait néanmoins plus alarmante concernant la tranche des 25-29 ans, d’autant plus qu’on ne dispose pas des chiffres post crise économique en 2009.

Souhaitons qu’aucune personnalité politique ne s’appuie sur des chiffres à sensation pour justifier d’une nouvelle politique d’assouplissement du code du travail et de fléxibilité maximale du marché de l’emploi. Comme Bernard Revel, qui utilisa ce chiffre magique le 1er février 2006 pour convaincre les lecteurs de L’Indépendant du Midi des vertus du CPE : « Pour les 23 % de jeunes de moins de 26 ans actuellement au chômage, mieux vaut sans doute un CPE que rien du tout ».

La génération bamboccioni (dit « grands bébés » en italien) prend parallèlement des proportions assez révélatrices voire extrêmement inquiétantes. Ainsi, 60%  des jeunes italiens entre 18 et 34 ans étudient ou travaillent mais vivent toujours chez leurs parents, par manque de moyens financiers. Ils sont quasiment universels. Ce sont les parasaito shinguru (« célibataires parasites » au Japon soit 70% des jeunes de cette même classe d’âge), les nesthocker (« pilleurs de nid » en Allemagne), les Neet (not in education employment or trainig au Royaume Uni) ou les Kippers (kids in parent’s pockets eroding retirements savings; litteralement, « gosses piochant dans les poches de leurs parents et grignotent leur épargne retraite »), et les non moins célèbres Tanguy en France : tout l’occident est confronté à ce mouvement de sédentarisation des jeunes adultes au domicile parental

Effet du vieillissement démographique? crise de génération de plus en plus précarisée?… ou de civilisation?

Peut etre aussi simplement une question de pouvoir d’achat?

Le salaire moyen mensuel des jeunes actifs s’établit en France à 1331 euros, soit juste au dessus du SMIC (pour mémoire, le salaire moyen français s’éleve à 1500 euros). Seulement 13% des jeunes actifs sont au dessus de 2000 euros, essentiellement dans les grandes villes et avec le statut cadre. Le salaire moyen idéal pour les jeunes actifs se situe à 2114 euros soit un différentiel de 783 euros entre salaire souhaité et salaire réellement perçu, soit en moyenne +60% du salaire moyen! Avec un loyer moyen national d’appartement à 13 euros le m2 (24 euros le m2 à Paris), tout s’explique. Plus inquiétant (et peut etre logiquement), l’agence relève que cette génération n’attache que peu d’importance aux valeurs citoyennes de l’entreprise, mais sont  davantage motivés par le niveau de salaire.

Illustration pratique avec la courbe de Friggit de juillet 2010, rapportant le prix moyen de vente des logements anciens au revenu disponible par ménage depuis 1965. La proportion prise sur le revenu pour se loger en France n’a jamais été aussi élevée depuis 5 ans.

La « génération perdue » d’Europe est donc peut etre déjà plus âgée qu’on ne le croit…

On peut tout invoquer pour l’expliquer: crise économique, déficit budgétaire, vieillissement de la population, concurrence mondiale, cout du travail, politique sociale… Une évidence cependant, malgré les déclaration de bonnes intentions de nos dirigeants: rien dans les orientations politiques prises aujourd’hui en France et en Europe ne semblent suffisantes pour renverser la vapeur… ou l’ordre établi.

Vous savez ce qu’on dit : une génération de perdue, dix de retrouvés…