A l’image de certains magazines féminins publiant le guide d’une rentrée en beauté, en forme, en douceur (rayez les mentions inutiles), le 1er billet de la rentrée du SJBM, première de l’ère post ordonnance, vous propose de revenir sur les meilleurs moyens d’aborder sereinement cette rentrée de tous les dangers pour les professionnels.
Alors que la réforme de la biologie médicale n’est à ce jour toujours pas ratifiée par le parlement, que certains décrets cruciaux sont toujours en attente de parution et divisent ministère et représentants de la profession, que nous attendons dans les prochains mois le verdict final de la CJCE sur l’ouverture du capital des laboratoires, l’Ordonnance du 13 juillet 2010 s’applique, vit sa vie, autonome, bouleversant progressivement et inéluctablement le paysage de la biologie médicale française.
Le Monopoly géant se poursuit :
- biologie financière gagnant progressivement du terrain dans les grandes agglomérations (+100 millions encore levés pour Novescia fin juillet) au rythme des départs en retraite de nos confrères,
- contre résistance qui s’organise avec des restructuration de laboratoires intrarégionaux, mariage de raison plus que d’amour,
- casse tête de l’organisation de la déconnection de toutes les phases analytiques,
- première échéance de l’accréditation en 2013,
- incertitudes de rentabilité et de validité à moyen terme des montages,
Autant de menaces pour la pérennité d’un tissu sanitaire clé et pour la correcte prise en charge quotidienne des actes de routine de biologie médicale, que l’on sait cruciale dans 70% des diagnostics médicaux.
Ainsi… mais comment lutter?… les prélèvements font faire des kilomètres, parfois seront perdus ou oubliés, des biologistes vont se mettre à refuser les urgences après le dernier passage du coursier de 16H, des labos seront fermés l’après midi, des jeunes biologistes vont se heurter à des dilemmes, préleveurs ou managers open space sur plateau technique avec une responsabilité écrasante de parfois 1000 dossiers jour (contre une centaine actuellement…
To be or not te be, comme disait en son temps le pilote de la réforme.
Le prix de la rentabilité et de l’eurocompatibilité. Pour les beaux yeux d’investisseurs labellisés LBO et cash flow garantis.
Mais saviez vous que les jeunes biologistes étaient de dangereux anticonformistes ?
Oser relever les dangers ou contresens flagrants inhérents à l’esprit dit médicalisé de la réforme, se révolter d’être exclus de la future commission nationale de biologie médicale, s’alarmer d’être écartés de la maitrise de leur outil de travail et des processus décisionnels au sein des futures grandes chaines de biologie, nous avons formulés tout au long d’une réforme qui aura duré 2 ans, fait des propositions autrefois jugées constructives, aujourd’hui déconnectée de la réalité et non-conforme à la vision industrielle décomplexée dorénavant assumée par notre gouvernement.
Bouleversement du rapport à notre métier, dictature des méthodes de travail et des contraintes, décroissance de la gouvernance et paradoxalement responsabilités croissantes des professionnels, instabilité des perspectives d’associations, gels des embauches dans le privé et le public, pour cause de restructuration … L’avenir des jeunes biologistes, au terme de leurs 10 années d’étude, est incertain et ils en ont bien conscience.
Et que nous répond-on ?
Que nous sommes jeunes! Qu’un avenir radieux de salariat et d’intéressement sur le CA nous tend les bras, que nous devrions avoir plus de facilité à évoluer que nos ancêtres soixante-huitards. Acceptez « votre destin de petits poissons », au lieu de chouiner !
François Guizot disait « Le monde appartient aux optimistes ; les pessimistes ne sont que des spectateurs ».
Délit de pessimisme.
Il court en ce moment une querelle dans le monde intellectuel et politique français, qui en dit long sur notre société : quiconque dévoile de potentiels risques encourus dans notre société est -sans autre forme de procès- taxé de pessimisme, grave accusation discréditant d’emblée l’auteur osant remettre en question la noble marche du libéralisme en tout domaine. Les pessimistes voient tout en noir, donc leurs avis n’ont aucun intérêt, puisqu’ils jureraient qu’il pleut…. même en plein soleil !
Dans le cas de la réforme de notre spécialité, le risque encouru, et il n’est pas des moindres, est de davantage dégrader l’offre de soin que de le rénover.
« On sait ce que l’on quitte, on ne sait pas ce que l’on prend »
L’organisation de la biologie française, mainte fois cités en exemple en Europe, pour sa qualité et sa juste rémunération à l’acte, pour la rapidité de ses prestations, prend le risque d’évoluer vers une concentration drastique, avec des exigences monstrueuses de rentabilité, et contre la volonté d’une majorité de ses praticiens. La dénonciation systématique par nos gouvernants d’un pessimisme négatif et constant vis-à-vis de toute réforme est surtout révélatrice d’un vrai rapport de force, vécu comme un corporatisme déplacé, alors que du point de vue des professionnels engagés dans la représentation de la profession, il est constructif.
Etre pessimiste se révèle pourtant être l’opposé du conservatisme en impliquant d’être capable de faire l’analyse des menaces, de les comprendre, de les prendre au sérieux et d’agir en conséquence. Qui sont les mieux placés que les praticiens de terrain pour pointer du doigt les dangers inhérents à une modification de leur exercice ? Il est d’autant plus de notre responsabilité de poursuivre dans cette logique puisqu’il s’agit de sécurité et de qualité sanitaire pour nos patients. Sans compter notre épanouissement professionnel, qui ne se réduit pas à une simple hauteur de rémunération, comme il plairait à certains d’y réduire le débat.
Un gouvernement qui ne tient pas compte des aspirations de sa jeunesse, de l’idée qu’elle se fait de l’exercice libéral et centrés sur le patient est un gouvernement qui ne construit rien de stable.
G. Orwell disait : « en temps de tromperie, dire la vérité est un acte révolutionnaire« . L’optimisme est finalement d’une certaine façon assez conservateur : laissons faire le libéralisme, limitons au maximum toute intervention extérieure, le Dieu concurrence reconnaitra les siens.
En cette rentrée 2010, restons fidèles à nos valeurs et gardons notre esprit critique.
Nos pensées vont à tous les jeunes ou moins jeunes biologistes s’attelant aux exigences de l’accréditation, de restructuration, de baisses annoncées de nomenclature… Ainsi, notre blogueur ami, GdM jette l’éponge et abandonne la publication de billet sur son célèbre blog, Labmutation avec un billet intitulé : « la réforme m’a tuer ».
Une pensée pour les derniers semestres d’internat, comme certains membres fondateurs du SJBM, plongés dans leur thèse ou autres mémoires de DES, voyant se profiler (avec plus ou moins d’anxiété et d’incertitude) une entrée imminente dans la vie active.
Une pensée à tous les autres internes préparant les prochains choix, ambition du prochain terrain de stage pour acquérir la meilleure formation pour leur exercice futur.
Un amical bienvenu à tous les futurs internes de biologie médicale, indécis de l’amphi de garnison, tirant des plans sur la comète de l’impact de la réforme à 5 ans.
Un clin d’œil à tous les autres dont l’esprit vagabonde encore avec nostalgie sur les mois d’été passés…
Que le pessimisme de la connaissance n’empêche néanmoins pas l’optimisme de la volonté.
Rejoignez et participez au SJBM, il n’existera pas sans vous.
Très bonne rentrée 2010 à tous !