Mais voilà, la loi du vainqueur s’applique dès lors qu’il est le plus fort. Les Américains occupent le Japon et font la chasse à ceux qu’ils qualifient de « criminels de guerre ». Ceux qui, dans le camp victorieux, ont incendié les villes et tué des centaines de milliers de civils ne sont pas inquiétés. Ils agissaient sur ordre et pour la patrie. Quand il s’agit de Japonais, agissant sur ordre et pour la patrie, il en est tout autrement : ils doivent être pourchassés, arrêtés, jugés et condamnés, le plus souvent à mort.
Takuya l’accepte mal. Il fuit dans son propre pays. Il sollicite ses amis puis, voyant leur gêne, il se cache. La nature humaine est ainsi faite qu’elle est volontiers pute, elle se plie avec amour à la loi du plus fort. Ces Américains arrogants qui ne supportent pas qu’on double l’une de leur jeep ou qu’on ne leur cède pas le passage, deviennent beaux et désirables pour les filles, forts et justes pour les hommes. Les premières se donnent à eux pour de la nourriture et des bas, les seconds leur obéissent car ils ont le pouvoir. Pas question d’aider les pourchassés, les soldats qui ont pourtant fait leur devoir. Pas question de réclamer une dignité pour les morts d’Hiroshima et de Nagasaki.
Qu’est-ce donc qu’un crime de guerre ? Ce que le vainqueur déclare qu’il est ? Yoshimura décrit de façon glacée et implacable l’itinéraire d’un soldat instruit, un officier, qui a fait ce qu’il a cru devoir faire, avant de se voir condamné par l’histoire et renié par son peuple. Cela peut arriver à n’importe qui, sûr de son bon droit, porté par la propagande de son pays, incité à obéir par ses chefs. Il n’est pas sûr que ce soit la justice. Plonger dans l’âme d’un soldat pris dans cette nasse est une prévention salubre.
Akira Yoshimura, La guerre des jours lointains, 1978, Actes sud Babel poche, 2007, 284 pages, 7.12€