Gig, James Lovegrove

Par Wellreadkid

Après avoir exploré le monde de la grande distribution avec Days, James Lovegrove se tourne vers celui de la musique avec Gig, un livre au format plutôt original centré sur deux personnages, présentés comme des "doubles" l'un de l'autre, et dont on lit (dans l'ordre que l'on veut) l'histoire. Lovegrove joue en effet avec brio sur les palindromes (des mots que l'on peut lire dans les deux sens, comme le titre, par exemple) qui émaillent le récit.

Gig, donc, est l'histoire de Mik, et celle de Kim. L'un est chanteur, l'autre est fan. Cela fait huit ans que Mik a réussi à s'extraire de Rotor City, sa ville natale, une ville décadente, rongée par le chomage et la délinquance. Aujourd'hui célèbre et reconnu, mais également haï, il revient à Rotor City pour l'ultime concert de sa tournée, l'occasion d'un pèlerinage sur les traces de son enfance.

Kim, elle, n'a jamais pu quitter Rotor City. Droguée, solitaire, totalement éprise de la musique du groupe de Mik, la jeune femme est allée jusqu'à pousser sa ressemblance physique avec le chanteur au maximum. Le jour du concert, elle part en quête d'un précieux pass lui permettant d'approcher son idole. Ces deux-là doivent se rencontrer, c'est écrit. Pourquoi, comment, c'est à vous de le découvrir en lisant ce livre.

James Lovegrove s'est surpassé dans ce livre, qui n'est ni vraiment un roman, ni vraiment une nouvelle : outre l'histoire vraiment prenante, il parvient à une prouesse stylistique qui a été magnifiquement rendu par la traductrice, à qui je tire mon chapeau. James Lovegrove s'amuse avec les palindromes, et de façon étonnante, il a été possible de rentranscrire ce jeu en français, imaginez un peu l'exploit !

L'on nous dépeint donc une ancienne ville industrielle aux usines désormais fermées, qui auraient eu plus de réalité aux Etats-Unis qu'en Angleterre, certes, mais qu'en quelques mots bien choisis, l'on se représente : le quartier résidentiel des riches, les maisons des anciens ouvriers, à l'abandon. L'on nous décrit ses habitants, les chômeurs découragés qui s'adonnent à la boisson, les riches excentriques et, de façon bien plus originale, les divers fans de musique : ainsi, l'on apprend qu'il y a une dispute entre les fans des Beatles "première génération" et "deuxième génération" et qu'ils se battent fréquemment. Lovegrove s'attarde pour nous expliquer le pourquoi du comment, passage véritablement hilarant car bourré de références aux chansons des Fab Four. En somme, il émane de cette ville une impression de désespoir, de grisaille, ce qui est parfait pour notre histoire. On imagine très bien Kim évoluer dans cet univers.

Car j'ai commencé par Kim, et je pourrais vous dire que c'est le meilleur ordre, mais ça serait faux. Ce livre peut aussi bien se lire absolument dans les deux sens, au choix. Bon, finalement, peut-être bien que Kim/Mik est le meilleur ordre...Qui sait?

Kim a un passé, que l'on devine lourd, mais sur lequel on ne s'attarde pas.  Néanmoins, ces quelques indices nous la rende attachante, bien que son côté "fan" soit parfois à la limite du risible. Sans vous en dire plus sur l'intrigue, je peux vous dire que parfois, on doute de la santé mentale de cette jeune fille. Lovegrove parait à jouer avec nos impressions de manière à ce que l'on hésite entre ce qui est vrai ou non.

Quant à Mik, il a tout de l'artiste sombre et torturé : une enfance difficile, du talent, un côté solitaire. C'est un personnage que l'on adore, ou que l'on déteste. Personnellement, je l'ai beaucoup aimé. Même si on ne le comprend pas toujours. Il est très charismatique, un brin ironique, spirituel. Lovegrove réussit à créer un groupe de toutes pièces : en semant ici et là des références à leurs albums, à leurs chansons, il nous donne l'impression de parler d'un groupe réel. Un groupe dont on aimerait connaître la musique.

La relation entre ces deux personnages est irréelle, incroyable, mais c'est ce qui fait le charme du livre : l'on a l'impression que chacun des personnages se tendent un miroir. Lovegrove travaille la relation artiste/fan, qu'il compare dans ce cas précis à une relation Jésus/Judas, à la fois meilleur ami et pire ennemi, le disciple prêt à n'importe quel sacrifice pour son prophète . Il réfléchit également sur la musique, sur la manière dont une chanson peut unir les gens, et les faire communier pendant un concert. Le tout donne une oeuvre très intéressante, expérimentale, que l'on prend grand plaisir à lire. Les deux parties sont complémentaires, et peuvent se lire dans le sens que vous voulez. En somme, je conseille très vivement !

Je remercie les éditions Griffe d'encre et Babelio pour cette très belle découverte.

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