Fontenay-le-Comte, ville de 15.000 habitants comme il en existe beaucoup en France. En présentant deux prises de vue à presque un siècle d'intervalle, on observe aisément les transformations urbaines. On voit sur ces images une dent creuse qui s’est bâtie, un canal devenu une rue. Certaines formes temporelles demeurent tel le marché tandis que d’autres, les femmes venant laver leur linge à la rivière par exemple, ont disparu. Ce constat permet de nous intéresser au temps partagé et à l’espace public existentiel comme ensemble de formes et d’images réflexives qui se répondent. Les temps urbains, ceux de l’appropriation d’une ville 24h/24, trouvent comme support cet espace existentiel pour chacun d’entre nous.
La société en réseau
La fin du XXe siècle a vu l'avènement de l'ère de l'information qui a mis la société en réseaux comme l’a très bien expliqué le sociologue Manuel CASTELLS. Cette modification notoire de la société s'est surtout caractérisée par une économie mondialisée extrêmement fluide et d'autre part par la constitution d'aires métropolitaines polycentriques en réponse à ces nouveaux processus d'accumulation flexible. Pour ce qui nous occupe aujourd'hui, cela veut dire un passage : l'espace était jusqu'alors le support matériel des pratiques sociales du temps partagé, or, la dé-standardisation de l'économie a projeté les relations sociales dans les flux des échanges et interactions entre des positions géographiques discontinues. De fait, le temps devient pluriel et la rencontre dans l’espace commun problématique.
Domination de l’espace des flux
Notre début de XXIe siècle voit la domination de l'espace des flux sur l'espace des lieux. Cela veut dire que dorénavant les lieux sont à considérer dans l'inclusion et l'exclusion à cette nouvelle spatialité. Notre idée est donc que dans tous les domaines de la vie sociale, et en urbanisme aussi, la question du temps domine dorénavant celle de l'espace.
Prenons l’exemple de la rivière. Canalisée pour luter contre la brutalité de ses crues, elle a perdu sa fonction de lavoir. Louons l’invention de la machine à laver comme évolution technique mais remarquons aussi la disparition d’un lieu de rencontre, celui du lavoir, que rien n’a remplacé. Ce mouvement vers l’individualisation des comportements a commencé durant le XXe siècle et s’est accentué avec l’espace des flux. Ce qu’on se racontait au lavoir se dit peut-être maintenant sur Facebook. Cela pose en tout cas la question de la nature du lieu.
Perte de centralité
On peut lire dans ces images la perte de la centralité. Pris dans les phénomènes d’inclusion et d’exclusion, la centralité traditionnelle, celle du centre-ville et de la ville-centre, s’est évanouie lors du passage à une économie postindustrielle. A côté des métropoles qui sont incluses de fait dans l’espace des flux, il faudrait aussi dresser l’histoire des recalés de la modernité tardive.
Si on observe l’évolution d’une rue en un siècle, on entrevoit le délaissement des inscriptions dans l’espace public qui marque l’abandon de la réflexibilité des images et donc de la valorisation de l’espace public.
Faillite de l’espace public comme support du temps partagé
Néanmoins, on peut dire que l’espace des flux s’exprime ici lisiblement. L’espace public n’y supporte plus autant les représentations sociales qui lui préfèrent dorénavant les médias et les réseaux immatériels pour exprimer les figures de la domination. A bien regarder ces images, fragments d’une plus grande série, on lit un certain délaissement de l’espace commun au profit d’un temps pluriel.
Pour qu’il y ait des temps urbains, il faut bien un réceptacle. Ce réceptacle, c’est la ville et son espace d’apparition qu’est l’espace public. Le sociologue Richard SENNETT a très bien parlé de ces transformations et de cette perte de sens.
Pour le temps des villes, débat animé par François Chaslin, 11 octobre 2010 à 19H00, petite salle du centre Georges Pompidou, dans le cadre du cycle culture urbaine à la BPI
Extrait de l’intervention de J. Richer