Compte rendu du dîner-débat du 4 septembre animé par Alain Mathieu, président de Contribuables Associés, au Cercle Frédéric Bastiat.
La question des retraites est en principe très simple : les actifs cotisent pendant leur période d’activité, cessent cette activité à un certain âge, et perçoivent ensuite une pension.
La cotisation peut être facultative ou obligatoire, déduite ou non des revenus imposables. Une partie est déduite du salaire brut du salarié (cotisation employé) et une partie est versée par l’employeur. Deux systèmes sont en vigueur : la capitalisation et la répartition. Dans la capitalisation, les cotisations sont affectées à un compte personnel géré par un fonds de pension (souvent d’entreprise ou de branche, mais aussi institution spécialisée). Le titulaire du compte en reste propriétaire. La pension dépendra des cotisations versées, de la performance des placements du fonds et de l’espérance de vie du retraité le jour où il prend sa retraite.
Dans la répartition toutes les cotisations de l’année sont réparties la même année entre tous les retraités. Il n’y a ni constitution de réserves, ni versements complémentaires étrangers aux cotisations. Le système est censé être équilibré chaque année. Pour atteindre cet équilibre on distingue entre les régimes à cotisations définies (connues d’avance) et ceux à prestations définies (pensions connues d’avance). Ainsi les cotisations des régimes complémentaires du régime général, Agirc pour les cadres et Arrco pour les non-cadres, sont-elles connues : le taux de cotisation de l’Agirc est par exemple de 20,3 % du salaire brut. En revanche les pensions dépendent du nombre de points achetés par les cotisations durant la période de cotisation. Au moment où est prise la retraite, les points accumulés sont convertis en une pension, à un tarif qui varie chaque année pour assurer l’équilibre.
La pension de base du régime général est à l’inverse calculée par la CNAV (Caisse nationale d’assurance vieillesse) suivant une formule connue d’avance : 50 % du salaire moyen des 25 meilleures années (après correction annuelle tenant compte de la hausse des prix). Cette pension est versée sous deux conditions : avoir atteint 60 ans et avoir cotisé un minimum de trimestres (actuellement 40 ans et 6 mois, passant à 41 ans en 2012). Si la durée de cotisation est inférieure au minimum, la pension sera réduite en proportion de la durée de cotisation. Une 2me réduction sera en outre appliquée, dite décote. Celle-ci est notamment proportionnelle à la durée manquante jusqu’à un certain âge, actuellement 65 ans. Et si la durée de cotisation a été plus longue une surcote de 3 à 5 % par an sera calculée.
Mais la pension de base du régime général est aussi à cotisation définie : 10,55 % du salaire brut sous le plafond de la Sécurité sociale (environ 2880 € par mois) pour le salarié, et environ 15 % pour l’employeur. Comme les durées de retraite, âge de départ et nombre de cotisants ne sont pas prévisibles exactement, ce système ne peut être équilibré chaque année, d’autant plus que la durée de vie s’allonge constamment, d’environ un trimestre par an. Dans un système à prestations et cotisations définies comme celui de la CNAV, un déficit se crée et une réforme est nécessaire périodiquement : la réforme Balladur d’août 1993 avait allongé la durée de cotisation (à l’époque 37,5 ans), avait fait passer le calcul du salaire de base des 10 aux 25 meilleures années et avait indexé les pensions sur les prix et non sur les salaires. En 1999 Lionel Jospin avait créé un Fonds de réserve pour les retraites (FRR), alimenté par des privatisations et des impôts, censé combler le déficit prévisible de la CNAV en 2020.
Du fait de la crise, les cotisations perçues ont baissé. Le gouvernement a donc lancé une réforme faisant passer progressivement l’âge de départ de 60 ans à 62 ans en 2018 et l’âge de suppression de la décote de 65 à 67 ans. A l’inverse de tous les autres pays, qui ont augmenté l’âge légal de départ en retraite de 65 à 66 ,67 ans ou plus, pour tenir compte de l’allongement de la durée de la vie. la France avait en 1982 fait passer cet âge légal de 65 à 60 ans. C’était la 82 me des 110 propositions du candidat Mitterrand. Jacques Chirac en 1995 comme Nicolas Sarkozy en 2007 n’avaient pas osé changer cet âge, considéré comme un « acquis social ». La réforme en cours rompt avec ce principe ainsi qu’avec le principe de base de la répartition, puisqu’elle comble une partie des déficits prévisibles d’ici 2020 par des impôts supplémentaires (sur les dividendes, les stock options, les plus-values, etc) et qu’elle puise avant 2020 dans le fonds de réserve pour les retraites. Loin de « sauver » la répartition, elle y déroge.
En dehors du régime général, 38 régimes existent en France. Les plus importants sont les régimes du secteur public : fonctionnaires de l’Etat, fonctionnaires des collectivités locales et des hôpitaux (Caisse appelée CNRACL), les autres régimes spéciaux (EDF-GDF, SNCF, RATP, Banque de France, Opéra, etc). Ces régimes sont à prestations définies : généralement 75 % du salaire moyen des six derniers mois. L’âge de départ est souvent avancé : environ un million de fonctionnaires dits « actifs » peuvent partir à 55 ans ; les roulants de la SNCF ou de la RATP à 50 ans ; les danseuses de l’Opéra à 40 ans, etc. Ils bénéficient de nombreux autres avantages : bonification de durée de cotisation (selon le nombre d’enfants ou les séjours à l’étranger), pensions de réversion plus favorables, pensions augmentées de 35 à 75 % si la retraite est prise dans les DOM-TOM, possibilité de partir après 15 ans de service si 3 enfants ont été élevés, etc. Pour assurer ces prestations définies, les cotisations de l’employeur varient chaque année. C’est ainsi que la « cotisation employeur » de l’Etat pour ses fonctionnaires va passer de 62 % des salaires bruts en 2010 à 65 en 2011, 67 en 2012, 71 en 2013.
D’après des rapports officiels publiés en avril 2010, ceux du Conseil d’orientation des retraites et du ministère du Travail, la pension moyenne des fonctionnaires de l’Etat est d’environ 22.000 € par an, celle des cadres du régime général de 15.000 € et celles des non-cadres du régime général de 10.000 €. En moyenne, et en tenant compte de la proportion différente de cadres, les pensions des fonctionnaires de l’Etat sont de 70 % plus élevées que celles du régime général. De plus ils prennent leur retraite en moyenne à 58,7 ans (hors les militaires qui la prennent en moyenne à 44 ans), alors que dans le régime général l’âge moyen de départ à la retraite est à 61,6 ans. Pour les régimes spéciaux d’EDF, SNCF, RATP, etc les chiffres sont encore plus favorables : leur pension moyenne est supérieure au double de la pension moyenne du régime général et leurs âges de départ effectif en retraite sont encore plus avancés. Par exemple l’âge de départ moyen est de 53 ans à la RATP.
La réforme devait, pour des raisons d’équité, assurer la « convergence » entre les régimes publics et privé. Il n’en est rien. Seules deux mesures apportent un début de convergence : les cotisations des fonctionnaires seront augmentées de 0,27 % par an pendant 10 ans pour devenir égales à celles des salariés du régime général (10,55 %) et la possibilité de partir après 15 ans de service pour ceux qui ont élevé 3 enfants sera progressivement supprimée. L’âge légal sera également relevé de 2 ans en 2018 pour les fonctionnaires mais rien ne changera avant 2017 pour les autres régimes spéciaux. Ainsi, pour ces régimes, les avantages par rapport au régime général seront-ils encore accrus pendant 7 ans.
Ces avantages des régimes du secteur public sont tels qu’une véritable convergence est très difficile à réaliser. Alain Juppé a été confronté à des grèves très dures en 1995 quand il a voulu aligner leur durée de cotisation sur celle du régime général. Il a dû y renoncer. En 2003, la réforme Fillon a aligné la seule durée de cotisation des fonctionnaires sur celle du régime général, mais pas celle des autres régimes spéciaux : EDF, SNCF, RATP, etc. Des grèves et manifestations ont été déclenchées. Notre association a d’ailleurs contribué à l’organisation le 15 juin 2003 d’une contre-manifestation qui a permis à cette réforme de passer. L’alignement de la durée des régimes spéciaux autres que ceux des fonctionnaires a finalement été réalisé par Nicolas Sarkozy en 2007. Cette réforme n’est passée que grâce à des concessions très importantes (primes, promotions, etc) qui l’ont rendu plus coûteuse pour les finances publiques que l’absence de réforme.
La réforme en cours devait promouvoir la convergence, comme l’avait promis l’UMP dans son programme électoral de 2007. En janvier 2010, François Fillon déclarait d’ailleurs au Figaro : « Aucune question n’est taboue. Celle du calcul de la pension sur les six derniers mois de salaire dans la fonction publique se pose évidemment ». Aussitôt les syndicats réagirent violemment. Si bien que Nicolas Sarkozy déclarait le 1er mars « mon devoir c’est de défendre la fonction publique » et Eric Woerth le 3 mars : « les « six mois » c’est un sujet qui fâche, donc je ne sais pas s’il faut le mettre sur la table ». Après sa nomination le 22 mars comme ministre du travail, il n’en a plus été question. Le ministre a même déclaré que les fonctionnaires avaient « la même retraite » que les autres. Et pourtant Pascale Coton, secrétaire générale adjointe de la CFTC, avait constaté que calculer la retraite des fonctionnaires sur la moyenne des 25 meilleures années « ferait chuter les pensions de 40 % » !
La réforme n’a pas apporté non plus la dose de capitalisation qui eût été souhaitable. Les régimes de capitalisation fournissent, à égalité de cotisation, de bien meilleures pensions : un Euro par an placé à 5% d’intérêt composé pendant trente ans rapporte à la fin 4,3 euros et au bout de 40 ans (durée normale de cotisation) pas moins de 7 euros! La capitalisation est donc bien préférable à à la répartition; la raison sous-jacente étant que les sommes mises de côté sont investies et contribuent à la croissance. Mais si le passage intégral de la capitalisation à la répartition est facile, puisqu’on donne de nouveaux droits à pension à des personnes qui n’ont pas cotisé, l’inverse est difficile, puisque pendant 40 ans il faut faire verser aux actifs une double cotisation : celle versée pour financer les droits des retraités qui ont cotisé en répartition et celle nécessaire pour alimenter les comptes de retraite. Ce passage est plus facile pour les pays où les droits dus à la répartition sont faibles, comme au Chili, qui a changé de régime en 1980. 28 pays l’ont suivi, dont 12 en Europe, principalement en Europe de l’Est. Ainsi en Slovaquie, 50 % des cotisations vont à la répartition et 50 % à la capitalisation. En 1990 la Suède a fait passer 13 % des cotisations sur des comptes individuels de capitalisation : 2,5 % des salaires sur une cotisation totale de 18,5 %.
Ceux qui sont passés à la capitalisation en sont satisfaits. Au Chili, Mme Bachelet, candidate de gauche, avait promis pendant sa campagne électorale d’abandonner la capitalisation. Mais celle-ci était si populaire que, après avoir été élue, au lieu de l’abandonner elle l’a rendue obligatoire pour les professions indépendantes, pour lesquelles elle n’était que facultative. De même en Slovaquie la gauche a essayé après avoir pris le pouvoir d’abandonner les 50 % de cotisations en capitalisation : les Slovaques ont eu pendant 6 mois le droit de les transformer en répartition ; seulement 7 % d’entre eux ont exercé ce choix.
En France la capitalisation est accessible aux fonctionnaires (Caisse Préfon) et aux professions indépendantes (Madelin), sous forme de versements facultatifs. Une forme de capitalisation obligatoire a été créée pour les primes des fonctionnaires (jusqu’à 20 % de leur salaire) : la retraite additionnelle de la fonction publique, alimentée par des cotisations de 10 % des primes. La loi Thomas votée en février 2007 prévoyait des fonds de pension d’entreprise ou de branche, avec versements facultatifs abondés par les employeurs, déductibles du revenu imposable. Elle a été abrogée en 2002.
Une objection fréquente faite à la capitalisation est le risque boursier qu’elle fait courir aux pensions. Mais ce risque est largement compensé par les rendements supérieurs. La valeur de tous les fonds de pension a diminué en 2008. Mais ils ont moins perdu cette année-là qu’ils n’avaient gagné les années antérieures. Ainsi le plus important fonds de pension américain, celui des employés publics de l’Etat de Californie, CALPERS, a-t-il perdu 28 % de sa valeur en 2008, mais cette valeur avait doublé pendant les 5 années précédentes.
Que propose notre association en matière de retraites ? D’abord nous croyons qu’il faudra poursuivre rapidement l’alignement de notre âge légal de départ en retraite sur celui des pays étrangers. Ensuite il faudra mettre fin aux régimes spéciaux en affiliant au régime général tous les nouveaux embauchés du secteur public : ils n’ont aucun droit acquis. Ensuite il faudra geler pendant plusieurs années les pensions des régimes publics, comme l’ont décidé plusieurs pays voisins (Italie, Royaume-Uni , Allemagne). Il faudra aussi aligner progressivement le régime des retraités du secteur public sur celui des autres retraités. Cela a été fait sans drames en 1995 pour le personnel des banques. Dans de nombreux pays (pays scandinaves, Suisse, Royaume-Uni, etc) les employés du secteur public n’ont pas de régime spécial de retraite. Il faudra remettre en vigueur la loi Thomas. Il faudra consacrer une partie des cotisations actuelles à des fonds de pension.
Les Français pourront alors espérer bénéficier à terme de meilleures pensions avec des cotisations inférieures, sans faire appel aux impôts. Ils pourront, au-delà d’un filet de sécurité de pension minimum, recevoir une pension substantielle, éventuellement complétée s’ils l’ont souhaité par une pension supplémentaire librement choisie.
Il n’y aura alors plus lieu de remettre régulièrement sur le tapis la réforme des retraites. Pour leur retraite les Français ne dépendront plus de l’Etat et des syndicats. Ils seront devenus adultes.