Cet éternel débat ne sera véritablement purgé que lorsqu’il sera mis fin aux tabous qui entourent la problématique de l’eau au Québec. Tôt ou tard, il faudra se confronter à l’inévitable : attribuer une valeur à l’eau, ne serait-ce que pour pouvoir mieux la protéger. Il serait temps en effet pour le Québec de sortir de cette sacralisation hypocrite d’un "bien commun" qu'on ne veut pas reléguer au rang de marchandise.
D’ailleurs, la réalité rattrape déjà cette fiction auxquels certains naïfs veulent pourtant encore se raccrocher. L’avocate Odette Nadon, du cabinet BCF a en effet révélé qu’en dépit du moratoire de 1999, et en vertu d’un droit acquis, il y a bien actuellement des entreprises qui puisent de l’eau dans le St Laurent. Cette eau est ensuite transportée dans des membranes flottantes tirées par bateaux jusqu’aux États-Unis où elle sert notamment à l’irrigation.
Mettre fin à l’hypocrisie actuelle, permettrait en premier lieu de fixer des redevances dignes de ce nom qui puissent assurer au Québec des revenus importants. Se pencher sur cette question des redevances et éventuellement lever le moratoire, ne signifie pas nécessairement ouvrir les vannes à tout va. Il faudrait évidemment que le Québec encadre judicieusement cette exploitation de nos ressources et déterminent éventuellement s’il faut fixer des quotas. Pour cela, il faudrait évidemment commencer par faire une évaluation fine des ressources d’eau douce réellement disponibles (est-ce vraiment 3% des réserves mondiales ou plus ?), une impérieuse nécessité, mise en évidence par plusieurs spécialistes qui se sont exprimés en ce début de semaine lors du Forum sur l’eau.
Si puiser l’eau douce à même le fleuve et l'exporter en vrac est une chose, pomper quasi gratuitement l’eau du réseau de distribution municipal en est une autre. Il faudrait aussi mettre fin au véritable scandale de ces compagnies qui se font un profit monstrueux sur le dos des contribuables et ce alors que le réseau d’aqueducs est à la peine dans la plupart des municipalités québécoises et que des niveaux de fuites records sont enregistrés ici et là (on parle parfois de 70 %!!!).
Mais si l’on veut être cohérent, il faut aller jusqu’au bout de la logique il faut également établir un tarif de la consommation d’eau pour tous les usagers, y compris les ménages. Encore une fois déterminer un tarif à l’eau n’est pas contraire à la protection de l’environnement et de la ressource. Bien au contraire, c’est le début d’une démarche consciente de la valeur de la ressource et des infrastructures communes, des coûts qu’implique sa mobilisation, sa distribution, l’entretien du réseau et surtout le très lourd fardeau du traitement des eaux usées au Québec. Noyer cette valeur dans le paquet des taxes municipales ne permet en rien la prise de conscience de la population. Si l’on en croit certaines associations, généraliser les compteurs d’eau serait non seulement coûteux mais inefficaces pour inciter à une réduction de la consommation d’eau. Ce serait bien surprenant que le Québec soit une exception mondiale. Partout ailleurs (comme dans presque tous les autres domaines la science économique est d’ailleurs absolument claire sur ce point), attribuer un tarif à une ressource et à l’eau consommée permet une prise de conscience et réduit les gaspillages.
Si nous voulons préserver la richesse que constitue l’eau douce au Québec il est temps de mettre fin à ces tabous et d’y attribuer une valeur. Plutôt que de s’arquebouter sur de vieux réflexes archaïques faits de peur et de dogmatisme, il faut le courage de prendre ce dossier en main et miser sur le développement conscients et intelligents de l’exploitation de la ressource en eau douce pour assurer un avenir au Québec.