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La tête haute

Par Clarac
Cette semaine, ches les Impromptus littéraires, le thème est celui du voyage.
Ce matin j’étais chez le coiffeur. La pluie s’écrasait contre la devanture, pas un chat dans les rues. Assise devant le miroir, quand la coiffeuse m’a dit « vous pouvez baisser la tête », j’ai acquiescé et j’aivoyagé dans le passé…-Lève la tête et plus haut que tout le monde puisse voir ton visage !Ils me voient. Je les vois. Surtout leurs visages qui expriment du dégoût. Certains des hommes crachent par terre en le me regardant. Les femmes massées par petits groupes se parlent à l’oreille. La main forte de Marie m’empoigne mes cheveux : -Et vous regardez ! Elle a couché avec l’ennemi. Voilà ce qu’on fait aux traînées de ton genre. Un premier coup de ciseau. Violent. Puis un autre. Mes cheveux tombent par paquets entiers autour de moi. Je sens sa main froide sur ma nuque.-Alors, tu fais moins ta belle ! crie-t-elle pour être entendue de tout le village.Ils sont tous là. Ils ont laissé les travaux aux champs, la boulangère a fermé sa boutique, le cafetier a sorti des chaises.Les enfants jouent entre eux, les plus grands me dévisagent. Surtout les filles. Quand mes premiers cheveux ont glissé par terre, une d’entre ellea apposésa main devant sabouche. Son cri s’estéteint dans sa bouche. Autant de gens que je connais, de la famille qui baisse la tête de honte. Mes parents ni ma sœur ne sont là. Quand on est venu me chercher, ma mère n’a pas pu empêcher quelques larmes. Elle s’est retournée, les a essuyées avec son tablierpour que personne ne la voie. Mon père m’a jeté un regard noir. Il n’y a eu aucun mot. Tout à l’heure, j’attendrai la tombée de la nuit pour y aller. Je sais que mes quelquesaffairesseront dehors dans la cour.Des injures s’élèvent puis fusent. Les hommes en premier suivis des femmes. La tête haute, je ne baisserai pas les yeux. J’affronte leurs regards haineux en pensant à Franzt. Nous nous sommes aimés dès le premier regard malgré son uniforme. Un jour il m’a suivi. Nous avons rigolé lui ânonnant quelques mots de français et moi embarrassée. Quand il a pris timidement ma main, j’ai souri. Je l’ai conduit dans une clairière, il a mis sa veste par terre.Je me suis offerte à lui. Ce bout de nature était de devenu notre lieu de rendez-vous. Le soir, je priais avec ferveur pour cette guerre cesse et que nous puissions nous montrer au grand jour. Un jour, mon père est revenu du café avec de bonnes nouvelles. Les rumeurs de débâcle allemande   se faisaient plus nombreuses. Ma mère a juste dit qu’enfin nous allions retrouver notre vie d’avant. Ma sœur dont le fiancé était prisonnier de guerre pleurait de joie. J’ai crû que mon cœur allait s’arrêter de battre. Une assiette m’a échappée des mains, j’ai bredouillé que j’étais heureuse pour Marthe.   Je crois que ma mère avait deviné. Elle était devenue toute pâle.Le lendemain, Frantz n’était plus là. Est-ce la tristesse qui m’a trahie ou mon ventre qui s’arrondissait au fil des jours ? Quelqu’un caché derrière un arbre avait dû nous voir et me dénoncer.Le vent qui avant soulevait mes cheveux glisse froidement dans mon cou.Quelques mères attrapent leurs enfants pour rentrer. Une charrette m’attend. La tête tondue, on va m’exhiber autour de la place. Je reçois un crachat sur mon épaule puis un autre sur le visage. Je me protège des pierresque les gamins me lancent. Les adultes les encouragent à continuer.Aujourd’hui, Je paye mon amour interdit par cette guerre. Mais, jepaye égalementpour les souffrances de chacun.Je dois avoirconfiance dans l’avenir. Il le faut. Pour cet enfant que je porte.

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