Introduction
Friedrich Hayek est l’un des grands penseurs en sciences sociales du XXème siècle. Il est né en 1899, mort en 1992. Il s’est distingué par ses écrits économiques bien sûr pour lesquels il a obtenu le Prix Nobel de Sciences économiques en 1974 ; mais aussi ses réflexions philosophiques, juridiques et politiques. Et même en psychologie : d’ailleurs les psychologues redécouvrent aujourd’hui son ouvrage des années 50, « L’Ordre Sensoriel » qui est considéré comme un apport majeur à la discipline – la psychologie – et dont l’ébauche date du début des années 20 alors qu’Hayek n’avait qu’une vingtaine d’années. L’œuvre d’Hayek est donc transversale aux sciences sociales, il ne pouvait en effet concevoir qu’un spécialiste des sciences sociales ne puisse connaître l’économie, le droit, l’histoire, l’histoire de la pensée. Pour lui, un véritable penseur en sciences sociales devait donc se situer dans la pluridisciplinarité. L’œuvre de Hayek en sciences sociales est traversée par l’idée que ce qu’il nomme le constructivisme est la cause de bien des maux sociaux.
Le constructivisme
C’est une vision du monde qui considère que la société doit être construite par l’ordre politique, faisant table rase de la tradition, de l’évolution des pratiques, du long apprentissage social et des forces spontanées qui ont lentement trouvé des lois plus efficaces pour que la société prospère. Le constructivisme pense au contraire pouvoir créer, construire une société sur une base rationnelle. Hayek n’aura de cesse de critiquer non pas la rationalité mais son usage abusif dans ce cas précis. Ce constructivisme peut se décliner en économie sous la forme de la défense de l’économie planifiée, mais aussi en droit sous la forme d’une inflation législative tendant nulle part à réglementer tous les aspects de la vie économique et sociale et à créer des « droits à » qui n’ont pas de contre parties. On le trouve aussi en politique c’est à dire aux confluents de l’économie et du droit.
En économie, Hayek s’opposera aux partisans de l’économie planifiée et ce dès les années 1920. L’histoire a montré que, alors que la plupart des économistes succombaient aux charmes de l’économie planifiée, c’était en réalité Hayek qui avait raison. L’économie planifiée démontre sa faillite dès son application en Union Soviétique. Et le nouvelle politique économique de Lénine en 1921 sera une tentative de dé collectiviser l’économie.
Dès 1920, un collègue de Hayek, Ludwig Von Mises, explique que, du fait de l’absence de propriété privée dans le système collectiviste, il se pose un problème de calcul économique. Dans le système dé centralisé, le fait que les choses nous appartiennent entraîne que nous sommes capables de leur donner une valeur. Et nous pouvons échanger des choses qui appartiennent à différentes personnes. Par exemple, la valeur que j’attache à ce livre que je possède est confrontée à la valeur estimée par mon ami qui veut acheter ce livre que je détiens. La confrontation de ces deux valeurs, de ces deux estimations va déboucher sur une valeur plus objective qui est le prix. Les prix nous permettent justement d’effectuer notre calcul économique, notamment lorsque nous avons un projet entrepreneurial. Or, dans un système collectiviste, les prix ne peuvent pas refléter la confrontation des évaluations de chacun puisqu’il n’y a pas de propriété privée : il n’y a pas de véritable prix, donc. Notamment parce que l’Etat détient les moyens de production, il est impossible au planificateur central de faire un calcul économique rationnel, comme un entrepreneur. Or ce calcul est indispensable pour savoir si une entreprise fait des pertes ou des bénéfices. S’il fait des pertes, cela signifie quoi ? Et bien, cela signifie qu’il consomme plus de richesses que ce qu’elle n’en produit, qu’elle ne génère pour la communauté : elle n’est donc pas économique. Les richesses et services qu’elle utilise pourraient sans doute être utilisés beaucoup plus efficacement ailleurs, pour générer à la sortie, in fine, plus de richesses et de services.
Le système des prix
Hayek insiste sur la dimension informationnelle des prix. Les prix relatifs des produits et des services, c’est à dire des prix qui bougent entre eux et dans le temps, sont des signaux qui traduisent l’état des raretés. Ils transmettent une information sur l’état des raretés. Lorsque le prix relatif de la tomate augmente, c’est que les gens veulent plus de tomates mais que les entrepreneurs ne peuvent répondre, peut-être temporairement, à cet engouement. La tomate devient donc plus rare. Mais sans ce prix, il serait très difficile de le savoir. On voit donc que le monde économique est en perpétuel changement et donc que les raretés évoluent à chaque minute. Les prix relatifs permettent justement de guider l’activité des entrepreneurs et des consommateurs et de faire en sorte que les différents projets de tous les acteurs en économie soient à peu près coordonnés en fonction de l’état mouvant des raretés. Cette coordination de l’activité se fait de manière imparfaite, il est vrai, puisqu’il y a des ajustements, des délais, des erreurs, mais elle se fait, quand même, tant bien que mal. Toute politique ou choix de système économique visant à supprimer, même partiellement la spontanéité des prix, on supprimera nécessairement leur contenu informationnel sur l’état des raretés relatives. Il conduira donc à ce que des gens prennent des décisions de manière dé connectée de la réalité des raretés. Ce qui conduit généralement à la catastrophe économique. C’est un peu comme conduire sans rétroviseurs et sans voir ce qui se passe devant. Point véritablement crucial que Hayek soulève, avec une profondeur, il faut le souligner, rarement égalée.
Les partisans de l’économie collectiviste, du constructivisme économique, pensent pouvoir traiter toute l’information sur les besoins et les capacités. Cela, selon Hayek, représente une présomption de connaissance qui est fatale. Ces gens-là oublient en effet que chacun de nous possède une connaissance particulière qui n’est pas transmissible, que l’on ne peut pas remonter à une cellule centralisée, à l’Etat, au Planificateur Central. Par exemple, je sais qu’il y a des étudiants qui passent devant chez moi tous les midis et que je pourrais saisir l’opportunité pour vendre des sandwichs. Les gros ordinateurs, même surpuissants, des planificateurs économiques sont totalement incapables de prendre en compte ce type de connaissance. Et pourtant… C’est ce type de connaissance qui est le fondement de l’activité économique aujourd’hui. On comprend donc que sans la possibilité d’exploiter cette connaissance et sans les signaux d’information que représentent les prix et les profits, l’économie collectiviste en régime socialiste est vouée à l’inefficacité et qu’elle ne peut donc que conduire ces peuples à la ruine. C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait. En dépit de cette démonstration et en dépit de l’échec historique de l’économie planifiée, des pays et des hommes s’y accrochent toujours, malheureusement.
La concurrence
C’est dans l’article intitulé « L’utilisation de la connaissance dans la société », publié en 1945, que Hayek explique le mieux ces phénomènes. L’année d’après, il attaque le constructivisme économique sur le terrain de la vision de la concurrence. Dans les années 40, de plus en plus d‘économistes adoptent une vision de la concurrence qui se résume à une situation, un état du marché. Et un état dans lequel les concurrences ou tous égaux, mais ils ne font plus de profits. Les applications politiques sont évidemment importantes puisque cette vision devient un critère pour juger si une situation de marché est concurrentielle ou pas. Si certains concurrents sont plus gros que d’autres, c’est alors –selon cette théorie- qu’il n’y a pas de concurrence. Evidemment, dans cette hypothèse, toute activité concurrentielle, tout ce qui fait le processus concurrentiel, c’est à dire tout ce qui fait l’activité réelle des entreprises dans le monde réel, se révèle être, par définition, anti-concurrentiel.
Hayek rappelle alors que la concurrence est avant tout un processus sans fin et non pas un état du marché à un moment donné. Et que vouloir régenter la concurrence au nom de cet état idéal mais irréaliste du marché, c’est tout simplement empêcher le processus de concurrence d’opérer et donc, c’est empêcher les bénéfices, les avantages que ce processus amène. C’est comme si l’on demandait aux athlètes avant une course d’être tous égaux. Cela ne permettrait jamais de déterminer le meilleur d’entre eux. »
Conclusion
L’idée principale de Hayek est que, parce que la réalité économique est en perpétuel changement et que la connaissance des opportunités économiques est totalement décentralisée – c’est à dire dans la tête de chacun d’entre nous, en quelque sorte – il est alors impossible à une autorité centrale de mimer le marché par la planification centralisée. Hayek fournit ainsi une critique de la planification centralisée complémentaire de celle de Ludwig Von Mises. Par ailleurs, son insistance sur la notion de processus lui fait réenvisager la théorie de la concurrence en mettant en exergue la différence fondamentale entre l’approche procédurale de la concurrence – c’est à dire en termes de processus – et celle de la théorie qui devenait déjà dans les années trente et quarante, dominante, c’est-à-dire la concurrence pure et parfaite.
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