La guerre des Malouines qui opposa en 1982 l’Argentine, alors dirigée par une junte militaire, et l’Angleterre de Margaret Thatcher a longtemps été considéré comme l’un des conflits les plus absurdes du vingtième siècle (BORGES décrivait ce conflit comme « deux chauves se battant pour un peigne »).
Effectivement le principal facteur déclencheur d’un conflit qui aura tout de même causé la perte de 900 âmes (les deux tiers argentines) étant la tentative désespérée d’un régime totalitaire cherchant à redorer son blason, largement mis à mal par de graves problèmes économiques (inflation galopante, diminution des salaires, déficit public abyssal…), en agitant la fibre patriotique de la population contestataire.
Malgré la victoire britannique et le retour au status quo ante bellum les argentins n’ont jamais officiellement reconnu la souveraineté anglaise sur les îles Malouines et le sujet est toujours resté sensible.
Les études menées par la « GEOLOGICAL SOCIETY OF LONDON » début 2010 sur les réserves de brut off-shore à proximité des Malouines estiment les réserves de brut à environ 60 milliards de barils. Buenos Aires et Londres voient dans cette ressource naturelle un moyen de désengorger leurs économies, durement touchées par la crise des « subprimes ». Découvertes en 1998, les réserves se chiffraient à 13 milliards de barils et les techniques d’extraction et le prix du baril de l’époque ne permettaient pas aux sociétés exploitantes de tirer suffisamment de profit de l’exploitation du pétrole dans cette partie du globe
Un consortium de compagnies pétrolières anglaises, mené par DESIRE PETROLEUM prend donc la direction des « Falklands ». Réaction immédiate de la présidente argentine Christina KIRCHNER (au pouvoir depuis 2007) qui se fonde sur une résolution de l'ONU, post guerre de Malouines, qui oblige les parties à engager des négociations avant tout action qui pourrait être jugée, par l’une ou l’autre partie, comme un acte hostile, sans quoi le statu quo doit être maintenu.
Le gouvernement anglais, dirigé à l’époque par Gordon BROWN, fait la sourde oreille.
Commence alors une escalade dans la provocation (Menace d’arraisonnement des navires Britanniques d’un côté, présence militaire renforcée dans les Malouines de l’autre) qui suffit à la presse britannique pour agiter le spectre d’une nouvelle guerre des Malouines avec, cette fois, un casus belli légitime.
Cependant, l’éventualité d’un nouveau conflit militaire entre Argentins et Britanniques n’est que peu probable d’une part parce que les enjeux de la dispute entre gouvernement argentins et Britanniques sont essentiellement liés à un problème de notoriété (on ne fait plus la guerre pour ça) et d’autre part parce que les deux parties (particulièrement l’Argentine) n’ont aujourd’hui pas les capacités ni les moyens de partir en guerre.
L’histoire l’a montré, la question de la souveraineté des Malouines constitue une manne à actionner pour un gouvernement en mal de notoriété.
L’action militaire entreprise par GALTIERI en 1982, casus belli de la guerre des Malouines, visait essentiellement à redonner un semblant de popularité à un régime pour qui sonnait le glas. Si son effort d’unification du pays a parfaitement réussit, sa défaite en Juin 1982 a entrainé sa chute 3 jours après la fin des hostilités puis, la fin de la junte militaire quelques mois après, au profit d’un retour à la démocratie.
Depuis, la question des Malouines n’a que peu été abordée par les gouvernements successifs, les vétérans ont été oubliés, à tel point que ces derniers ont été obligés de manifester pour obtenir une reconnaissance de leur gouvernement.
La situation rencontrée par Christina KRICHNER actuellement est comparable à celle qu’a connue GALTIERI en 1982 : Insécurité, corruption, manipulation des indicateurs économiques, baisse du pouvoir d'achat, révolte des campagnes (notamment des producteurs de soja) contre la rapacité fiscale, autoritarisme, allergie présidentielle au dialogue et crise financière globale sont autant de facteurs qui ont entraîné une chute de la popularité de la présidente (moins de 30% d’avis favorable en 2009 contre 55% en 2008) et sa lamentable défaite aux législatives de 2009 (perte de la majorité au parlement).
La découverte d’une réserve de pétrole remet sur le tas la question de la souveraineté des Malouines, sujet hautement sensible pour l’opinion argentine. La présidente KRICHNER trouve au travers de ce sujet un moyen de détourner l’attention des médias des vrais problèmes argentins et, ainsi, de redorer son blason à quelques mois des présidentielles de 2011.
Plusieurs éléments nous ont longtemps fait croire que Buenos Aires allait lâcher le dossier et que la crise politique autour des Malouines allait s’étouffer :
- Les estimations de la « GEOLOGICAL SOCIETY OF LONDON » se sont révélées bien optimistes au vue des résultats effectifs des compagnies pétrolières qui ont démarré leurs activités d’exploration (la DESIRE PETROLEUM a pour l’instant fait chou blanc, ROCKHOPPER a découvert du pétrole dans le bassin nord mais les réserves dans ce bassin sont estimées à 242 millions de barils).
- la défaite de Gordon BROWN (qui traversait également une certaine crise de légitimité suite à sa gestion contestée de la crise et à ses nombreuses bourdes médiatiques et qui espérait sans doute, grâce à la question des Malouines, s’attirer les bonnes faveurs de l’opinion publique comme l’avait fait M THATCHER lors de sa victoire de 1982) lors des élections de mai 2010 et l’arrivée au pouvoir des conservateurs menés par le charismatique David CAMERON.
Le deuxième élément est particulièrement important. Effectivement, alors que l’opposition KRICHNER-BROWN ne semblait être qu’un conflit opportuniste pour se redonner un semblant de crédibilité en vue des élections, la position tranchée de CAMERON sur la question des Malouines (qui l’a affirmé, il ne répondra pas aux injonctions de l’Argentine et renforcera la présence militaire britannique si besoin) amène une nouvelle donne.
Un gouvernement affaiblit s’oppose à un nouveau gouvernement (donc un gouvernement fort). Pourtant la présidente KRICHNER continue de s’obstiner et d’être entreprenante vis-à-vis de Londres, qui, à nouveau, fait la sourde oreille :
La nouvelle crise des îles malouines risque donc de se transformer en chimère pour la présidente argentine puisque sa contestation risque d’entrainer une nouvelle chute de sa popularité (en raison de son manque d’influence et de son incapacité à amener Londres à la table des négociations). Elle devra donc finir par céder.
Ira-t-elle, comme l’avait fait GALTIERI jusqu’à provoquer un casus belli en menant une action militaire aux Malouines ?
Cela est peu probable pour plusieurs raisons :
Rappelons que les îles Malouines sont un archipel d’îles, constitué de deux îles principales (East falkland et West falkland) séparées par un large chenal, le détroit des Falklands, et de 750 îles ou îlots. De par cette géographie, en cas de conflits, la guerre se mène non seulement sur terre et dans les airs mais aussi sur mer, la guerre des Malouines l’a bien montré.
Même si la Royal Navy n’a plus son prestige d’antan et que de sérieux doutes peuvent être émis sur sa capacité à mener une guerre à des milliers de kilomètres de ses ports d’attache compte tenu du vieillissement de ses porte-aéronefs, que peut lui opposer l’armée Argentine ? Malgré sa quatrième place mondiale en termes de tonnage (504 660 t), la flotte de sa majesté ne compte aujourd’hui que 28 navires de premier rang (porte-avions, porte-hélicoptères, destroyers et frégates) et 13 sous-marins (9 SNA et 4 SNLE) alors que, lors de la guerre des Malouines, elle alignait plus de 60 bâtiments de surface et 30 sous-marins. La marine argentine est aujourd’hui squelettique puisqu’elle ne compte que 17 navires (dont 12 avisos, 3 sous-marins à propulsion « classique » et deux destroyers) pour un tonnage total de 45 065t.
L’Argentine, en cas de conflit militaire dans les Malouines possèdent l’avantage de pouvoir faire décoller des avions depuis le continent (465km séparent l’Argentine continentale des îles malouines). Néanmoins, bien que son aviation soit importante elle n’en reste pas moins vieillissante et, même si un programme de renouvellement de son aviation militaire a été entrepris (remplacement des Super-étendards de l’aéronaval, remplacement des Mirages III de l’armée de l’air…), de sérieux doutes peuvent être émis sur la capacité de l’aviation argentine à imposer sa suprématie dans le ciel des Falklands (75 avions argentins avaient été abattus lors du premier conflit et seulement 10 avions anglais).
De plus, même si l’Argentine avait reçu le soutien de la majorité des pays du MERCOSUR en février 2010, combien serait prêt à s’engager dans un conflit armé contre une puissance occidentale, surtout depuis que les relations entre Londres et Washington sont revenues au beau fixe (malgré la marée noire provoquée par BP dans le golfe du Mexique). Même le virulent président Vénézuélien Hugo CHAVEZ, principal soutient de Christina KIRCHNER, y réfléchirait à deux fois avant de s’engager militairement.
Enfin, l’Argentine a-t-elle réellement les moyens de mener une guerre ?
La réponse est non. Effectivement, l’économie argentine connaît son premier déficit public depuis 7 ans causé par un rythme d’augmentation des dépenses publiques (+30% en 2009) totalement insoutenable au regard des effets de la crise sur les recettes.
De plus, depuis son défaut de paiement de 2001 sur 95 milliards de dollars d’obligation, l’accès aux marchés des capitaux internationaux lui est toujours fermé ce qui contraint les possibilités du pays à lever des fonds.
Malgré un échange de dette accepté par 76% des créanciers en 2005, elle doit encore 29 milliards de dollars (dont 9 milliards d’intérêts) à des contreparties privées (« les holdouts ») et 6,5 milliards de dollars au pays membres du Club de Paris.
Bien que le déficit public anglais soit également conséquent (12,8% du PIB en 2009) le Royaume Uni dispose tout de même d’une marge de manœuvre plus conséquente.
Le déclenchement d’un conflit armé entre Argentins et Britanniques est donc très peu probable. Même si la présidente recevrait sans doute le soutient de la population argentine, elle risquerait également, qu’importe l’issu de la guerre, de signer son suicide politique.
Il est fort probable que les tensions entre l’Argentine et le Royaume Uni s’apaisent à mesure que les médias se désintéressent du sujet pour s’envenimer à nouveau lorsqu’un prochain gouvernement argentin traversera une nouvelle crise politique.
Pierre Armand