Mais ne parlons pas plus longuement de l’acteur de Djinns (ce chef-d’œuvre...) pour revenir aux Duellistes. Il était temps que je découvre enfin le premier long-métrage de Ridley Scott, l’un des trois films du cinéaste que je n’avais jamais vu (les deux autres étant G.I. Jane et Une grande année, que j’ai moins hâte de rattraper je dois l’avouer). Il était temps que je me laisse entraîner dans les duels auxquels se livrent Keith Carradine et Harvey Keitel, officiers de l’armée Napoléonienne à l’aube du 19ème siècle. Le premier voit le second revenir constamment à la charge vers lui, plus de quinze années durant, le provoquant inlassablement en duel entre deux batailles pour laver un honneur qu’il estime bafoué. Il était temps.
Il était temps que je vois les premiers pas de Ridley Scott hors de la pub, avant qu’Alien et Blade Runner en fasse un réalisateur culte du cinéma américain. Depuis devenu un mastodonte de l’industrie hollywoodienne avec ses 1492, Gladiator, Kingdom of Heaven et autres Robin des Bois, Scott se montrait en 1977 sous son meilleur jour en adaptant cette histoire de Joseph Conrad. Le face-à-face Carradine / Keitel est un fascinant rapport de force, de ceux qui partent d’un flocon de neige pour se transformer en avalanche. De ceux qui marquent une vie, qui la tordent et la déforment. C’est la confrontation d’un bien et d’un mal qui n’en sont pas, d’un oppressé et d’un oppresseur dont le manichéisme ne saurait être évident.
Il était temps que je me trompe, car je me suis trompé. Au fil du film, je pensais que Les duellistes ne pourrait être une réussite que si l’oppressé perdait face à l’oppresseur. Que seule cette issue ferait de D’Hubert, le personnage interprété par Keith Carradine, une grande figure tragique de cinéma, et du même coup des Duellistes un beau film. Je me suis trompé car Ridley Scott fait des Duellistes un beau film sans le tragique attendu. Il a fait un beau film en faisant finalement de l’oppresseur un être perdu. Scott a trouvé une voie alternative à l’une des deux issues tragiques envisagées par un duel. Celle de la défaite sans gloire, tout autant que la victoire sans gloire. Celle du brouillage des rapports de force. Celle d’un monde où le pouvoir peut changer de main. Celle d’un monde où la force n’est pas forcément figée dans le même camp tout le temps. Celle d’un monde où l’écrasement de l’ennemi ne passe pas forcément par son annihilation.