L’œuvre de Bernard Noël est importante. Il faut saluer ici l’initiative de Paul Otchakovsky-Laurens, qui a choisi d’édifier son œuvre complète, afin qu’elle soit désormais accessible au plus grand nombre, tant il est vrai que nombre de textes de cet homme de langue(s) (tout à la fois « poète, (…) romancier, (…) reporter, (…) polémiste, (…) sociologue, (…) historien, (…) critique d'art, comme le rappelle son éditeur) sont désormais introuvables, parce que publiés en revues, ou à petit nombre d’exemplaires. Mais ce n’est pas uniquement la fossilisation d’une œuvre déjà accomplie. Aussi, l’édification de ces œuvres complètes est-elle l’occasion pour Bernard Noël d’ajouter à l’ensemble quelques textes inédits, jamais publiés.
Le premier tome de cette œuvre réunit les écrits érotiques, regroupant des « récits, des disputes et discussions, des poèmes, des essais, des textes aussi qui mélangent les genres », comme le rapporte toujours Paul Otchakovsky-Laurens, lesquels furent construits sur une période de quarante-cinq ans : le texte le plus ancien est intitulé Une messe blanche et date de 1965. Le simple nom des œuvres est en soi une mise en bouche, un lever de voile, comme (et Bernard Noël ne désavouerait pas cette image) le pan d’une jupe qui se lève sur une jarretière pincée par l’agrafe d’un porte-jarretelles. Ecoutons plutôt : Un jour de grâce (introduction), L’amour blanc, Le cri et la figure, L’oiseau de craie, Une messe blanche, L’été langue morte, L’enfer, dit-on, La moitié du geste, Les choses faites, L’espace du désir, Des formes d’elle, Les plumes d’Éros, Le nu, Poèmes pour en bas, Le mal de l’espèce, Histoire de Frêle, Histoire d’un ange, La Petite Âme, Le tu et le silence.
Relire ou lire pour la première fois (car il est, rappelons-le, des inédits) ces œuvres, c’est l’occasion pour le lecteur de pénétrer dans des proses ou poèmes brûlant au sein de l’imaginaire. En effet, même si les textes les plus violents ne sont pas reproduits ici, il y a quelque chose d’excessif, au sein duquel la surprise peut advenir, dans ces œuvres (« [t]on rire a détruit la chasteté du cri. ») et de répétitif, qui n’est pas sans rappeler Sade (« (…) tout désir qui se donne en spectacle jouit à la fois de son étalement et de l’espoir de sa répétition. A défaut de durer, nous avons appris à faire durer, car notre but n’est pas dans l’assouvissement, mais plutôt dans la faim de la fin » : ces deux phrases à elles-seules constituant une propédeutique presque suffisante à l’étude de la philosophie de la nature sadienne). Ainsi, « la sensualité est véhémente et radicale », comme le souligne Véronique Rossignol, dans les scénographies que motive le goût du narrateur pour les corps, pour le désir qu’il peut y avoir pour ces corps, dès lors qu’il s’agit préalablement d’aménager l’espace et d’y placer scientifiquement le corps, autant que de faire du corps lui-même un espace, et de travailler cet espace (je renvoie, pour plus d’explicitation, au tissu narratif des proses de Noël).
Mais c’est aussi, et c’est là le plus important, l’occasion pour le lecteur de pénétrer dans des écrits brûlants sémantiquement parlant puisqu’ils interrogent, à travers la narration qu’ils déploient, ou le tissu poétique qu’ils jettent à la vue, le regard que porte l’homme sur le sexe, mais aussi l’érotisme (comme nous le verrons un peu plus tard) et la langue, ces trois entités étant indissociables pour Bernard Noël.
(lire l’intégralité de l’article par simple clic sur ce lien : Les plumes d'Eros, de Bernard Noël, par Matthieu Gosztola
Matthieu Gosztola
Bernard Noël
Les Plumes d’Eros
Œuvres I, P.O.L, 2010.