Casseurs, Woerthgate, pas de retraites pour les affaires.

Publié le 27 octobre 2010 par Juan
Ce mercredi 27 octobre est le 5ème anniversaire du déclenchement des émeutes de l'automne 2005, après la mort de deux jeunes poursuivis par la police à Clichy-sous-Bois. Cinq ans après, Sarkozy est devenu président, la banlieue peine à trouver l'argent nécessaire à sa rénovation, et on tente d'étouffer une polémique naissante sur le comportement de certains policiers pendant des manifestations contre la réforme des retraites. La réforme des retraites, elle, suit son cours et Fillon se félicite par avance d'un supposé essoufflement de la contestation. Après son adoption définitive par le Sénat mardi, les députés UMP et Nouveau Centre votent ce mercredi.
La contestation s'essouffle-t-elle ?
Nicolas Sarkozy semble souffler. Mardi, les raffineries reprenaient progressivement leur activité et Brice Hortefeux n'était pas peu fier d'annoncer que tous les dépôts de carburant, sauf un, avaient été réouverts par les forces de l'ordre. Jean-Louis Borloo, échaudé par ses bourdes de la semaine passée, a tenu une conférence de presse très prudente dans la matinée. Il a parlé d'un « objectif » de retour à un approvisionnement normal dans quatre cinquièmes des stations service du pays d'ici mercredi soir. Christine Lagarde s'est empressée de féliciter la « reprise du dialogue », après la proposition lundi soir de François Chérèque (CFDT) de discuter emploi des jeunes et emploi des seniors avec le Medef. Et François Fillon pouvait ajouter, plus tard devant les députés UMP : « le mouvement social n'a plus de sens », pour tendre ensuite, enfin, la main aux syndicats.
Maintenant que la réforme est votée, voici les dirigeants de Sarkofrance qui jouent au dialogue... On oublierait presque Christian Estrosi qui, lundi, la veille de l'adoption de la loi par le Parlement, étalait encore son ignorance du contenu réel de la réforme. Les ouvriers (44 ans de cotisation) payeront la retraite des cadres (41 ans), mais cela, Estrosi, pourtant ministre de l'industrie (sic !), l'ignorait. Sarkozy a intérêt à peaufiner son argumentaire électoral pour séduire, comme en 2007, la « France qui se lève tôt .» En 2013 puis en 2018, il faudra une nouvelle réforme, une vraie cette fois-ci. Ces deux échéances sont même prévues dans le texte sarkozyen. Mardi, des sénateurs godillots votaient le texte définitif. Mercredi, des députés godillots votent à leur tour. Des premiers, il faudra se souvenir en septembre prochain, les élections sénatoriales approchent.
Deux nouvelles journées d'action sont organisées : jeudi 28 octobre, l'opposition tentera de mobiliser malgré les vacances de la Toussaint. Plus de 300 cortèges sont prévus. A l'Assemblée, la tension est toujours vive. Guillaume Sarkozy, frère de Nicolas et dirigeant de Malakoff Mederic, une assurance privée, s'est invité dans l'hémicycle.
Le même jour, le ministre du Travail défendait son rôle dans la réforme des retraites. Étrillé par l'affaire qui porte désormais son nom, Eric Woerth n'a pas supporté que Jean-Claude Mailly, le leader de Force Ouvrière, laisse entendre qu'il n'était que l'exécutant d'une réforme conduite en coulisses depuis l'Elysée par Raymond Soubie, le conseiller social de Sarkozy : « La réforme des retraites, c'est moi. L'ensemble des propositions qui ont été faites ont été faites par le ministère du Travail. Il y a eu un travail très étroit avec Raymond Soubie (...) et puis, in fine, c'est le président de la République qui a tranché. » Le ministre aurait dû se faire discret.
Eric Woerth aurait dû commenter les mauvais chiffres du chômage : la Dares comptabilisait, mardi 26 octobre, 4,62 millions de demandeurs d'emploi inscrits à fin septembre à Pôle emploi en métropole, en hausse de 376 000 sur 12 mois, et de 35 000 sur le seul mois de septembre. Où est passée la reprise économique ? Toutes les catégories de chômeurs sont en progression : 4 600 personnes sans aucune activité, 23 000 à temps partiel, 6 000 « sans actes positifs de recherche ». Dans le détail, on note que 9 000 chômeurs âgés de 50 ans et plus se sont déclarés sans aucun travail en septembre (+71 000 sur 12 mois), que l'ancienneté moyenne d'inscription des chômeurs en recherche active d'emploi a progressé de 5 jours en septembre (pour atteindre 432 jours !), et de 39 jours en un an. Pire, le nombre de chômeurs indemnisés par Pôle emploi a ... baissé ! Il se chiffrait à 2,26 millions de personnes, soit 12 000 personnes de moins en septembre. Moins d'un inscrit sur deux à Pôle emploi est indemnisé...
Eric Woerth aurait également pu commenter le nouveau tournant pris par ses propres affaires : une instruction judiciaire va être ouverte ... enfin. Le weekend dernier, le supérieur hiérarchique du procureur Courroye avait provoqué un tollé en annonçant qu'il recommandait de dessaisir la juge Isabelle Prévost-Desprez de son instruction sur le volet historique de l'affaire Bettencourt. Or le procureur de Nanterre, lui, ne pouvait être juridiquement dessaisi des différentes affaires Bettencourt... et Woerth. Le procureur général de Versailles lui a donc ordonné d'ouvrir une information judiciaire sur ses enquêtes dans l'affaire Bettencourt, y compris dans les volets impliquant le ministre du Travail. Depuis juin dernier, Courroye a multiplié les enquêtes préliminaires, tout en résistant à toutes les demandes d'instruction indépendante, y compris celle du procureur général près la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal.
Voici Courroye, et Sarkozy, au pied du mur. Ou pas.
Qui donne des ordres à la police ?
 Depuis 10 jours, Nicolas Sarkozy avait décidé de caricaturer la contestation à sa réforme des retraites : grévistes marginaux d'un côté, casseurs hors contrôle de l'autre. Voilà à quoi se résumait, selon lui, l'opposition à son projet. Mercredi dernier, le ministre de l'intérieur était même monté au front pour relayer, devant des journalistes puis sur le terrain dans le centre-ville de Lyon, la nouvelle bonne parole présidentielle. Alors que la loi est adoptée - et que le Parti socialiste annonce qu'il la contestera devant le Conseil constitutionnel -, on s'interroge sur les agissements de certains policiers pendant les manifestations et sur une question fondamentale : le gouvernement a-t-il sciemment jeté de l'huile sur le feu en laissant faire voire en encourageant certains dérapages ?
La réaction médiatique a été ambivalente : certains ont mis les pieds dans le plat (le Monde, Arrêt sur Images, L'Humanité). D'autres restent circonspects (France inter, Libération). D'autres encore n'en parlent pas (le Point, le Figaro).
Quelques témoignages sont venus confortés l'idée d'une provocation d'origine policière en marge d'une manifestation contre les retraites le 18 octobre dernier à Paris. Sur une vidéo tournée par un journaliste de Reuters, on voyait un homme masqué attaqué tranquillement la vitrine d'une agence bancaire à l'aide d'une barre de fer. Un homme qui s'interposait fut attaqué par derrière par un troisième larron, également masqué, et armé d'une matraque. Ce citoyen courageux s'est exprimé sur le site Arrêt sur images :
« c'était un homme, dans la trentaine, et il a été sidéré de mon intervention (...). Le "ninja" qui m'a frappé dans le dos ne m'a pas fait mal du tout, le coup n'était pas du tout fort. Après, plusieurs personnes se sont mises autour de moi et m'ont donné des coups pas violents du tout, quasiment des faux coups, jusqu'à ce qu'une voix autoritaire dise : "Lâchez-le". C'était l'homme au visage découvert, qui a ensuite parlé à ma femme et ma fille, qui avait la main en sang pour s'être pris une bouteille de bière lancée par un casseur. J'ai eu l'impression que les gens qui m'ont entouré m'ont en fait protégé pendant le moment violent. Mon hypothèse ? C'était des policiers qui avaient des consignes pour laisser faire des dégâts matériels, mais surtout pas de blessés.»
Sa fille a également témoigné : « un homme, la cinquantaine, très calme, habillé d'un imperméable gris, m'a prise de côté et m'a dit de me calmer : "C'est une erreur". Non, les flics n'étaient pas là, quoique. Qui était cet homme en gris ? Pas un anarchiste, c'est sûr ! Il avait l'air d'encadrer le groupe. Un flic ? »
Un troisième témoignage a été rapporté par Samuel Laurent, dans un article du Monde publié lundi 25 octobre : « Le 18 octobre, par curiosité je suivais la manifestation sauvage, en retrait trottoir de droite avec des journalistes (on me voit courir dans la vidéo). Je me suis retrouvé à moins de 10 mètres de la scène de l’attaque de la banque etc. J’ai suivi le ninja ensuite, je l’ai perdu à l’entrée de l’opéra, et je l’ai retrouvé rue de Charenton avec un brassard Police, puis lorsqu’il a quitté le dispositif, par l’autre côté de la rue, où j’étais pour mieux voir. Je crois que c’est clair, comme ça, non ? »
Ces trois témoignages amènent trois questions : la police a-t-elle sciemment laissé faire cet acte de vandalisme ? Le vandale était-il un policier ? Brice Hortefeux était-il au courant ? Jean-Luc Mélenchon, sur son blog et à la radio, a clairement posé le problème. Brice Hortefeux, lui, a répondu mardi qu'il ne porterait pas plainte contre ces accusations relayées par l'eurodéputé du Parti de Gauche, car, dixit un responsable du syndicat policier Synergie Officiers   « ce n'est pas opportun dans la mesure ou cela donnerait une caisse de résonance et une publicité à M. Mélenchon. »
Cache-toi, pov' ministre !
Ce mercredi 27 octobre est surtout le cinquième anniversaire de la mort de deux jeunes gens, Bouna et Zied, électrocutés lors d'une course-poursuite avec la police. Le 10 septembre, le tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint-Denis) avait requis un non-lieu pour les deux policiers mis en cause pour « non assistance à personne en danger ». Vendredi, les deux policiers avait été renvoyés au tribunal. Mais lundi, comme un sale clin d'oeil provocateur, le parquet, c'est-à-dire le ministère de la Justice, faisait appel. Sur cet appel, l'Elysée n'a pas communiqué. On se réfugie, au Château, derrière le respect de l'indépendance de la justice. En 2005 lors des émeutes, comme en 2010, certains émeutiers furent arrêtés, jugés et condamnés en comparution immédiate.
La justice, en Sarkofrance, est toujours à deux vitesses.
Ami sarkozyste, où es-tu ?