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La pianiste

Par Luc24

La critique  

Force, passion et courage pour un drame sentimental particulièrement troublant

Erika (Isabelle Huppert) est le stéréotype même de la vieille fille. Prof de piano, souvent peau de vache, elle vit dans un petit appartement en compagnie de sa mère (Annie Girardo). Elle n'a pas d'amis, pas d'amants. Le piano, c'est toute sa vie. Au conservatoire, ses élèves et leurs parents lui portent un véritable culte. Mais c'est bel et bien la tristesse qui se lit sur le visage de cette femme usée. Une femme qui a envie de sexe, qui a des désirs sexuels de plus en plus tordus qui lui passent par la tête. Entre deux cours, elle ose alors entrer dans un sex shop ou épier des amants s'abandonnant au désir sur la banquette arrière de leur voiture. Petit à petit nous découvrons que cette femme souffre, énormément. Elle n'hésite pas à se mutiler le sexe par exemple. Désir pour elle ne rime plus qu'avec frustration, crasse et souffrance. Alors elle se défoule, n'hésitant pas à rabaisser ses élèves qui prennent parfois trop à coeur leurs cours de piano. Et puis il y a cette soirée mondaine durant laquelle Erika joue devant toute une bande d'aristos. Parmi eux il y a le jeune Walter (Benoit Magimel). Le type même du jeune premier, plein d'audace. Suite à sa rencontre avec Erika, il va tenter sa chance, non sans nonchalance, au Conservatoire. Il est doué et il devient son élève. Très vite on devine qu'il s'est mis en tête de troubler Erika, de la séduire. Et un jour, après un grave incident, le professeur et son élève vont se retrouver dans les toilettes et oser s'abandonner à leurs pulsions. Une liaison pourrait commencer...mais leurs attentes ne sont peut être pas les mêmes...

Erika resistera-t-elle à son doigté ?

La Pianiste n'est pas un film dont on ressort indemne. Michael Haneke dresse le portrait d'une femme extrêmement torturée, qui a un rapport aux hommes particulièrement complexe. Car il y a un manque de présence masculine dans sa vie (où est passé le père de famille ?) Vivant avec sa vieille mère possessive avec qui elle partage même son lit, Erika n'a jamais vraiment eu la chance de goûter à une vie de femme libre. Alors elle se replie sur ses fantasmes de plus en plus débridés et ses leçons de piano. Cette femme très dure avec elle-même (automutilation) mais aussi avec les autres ne pouvait pas mieux être placée que dans ce conservatoire de piano. Car le piano est un instrument qui demande beaucoup de rigueur, surtout si l'on veut l'aborder de façon professionnelle. Le réalisateur s'attarde de temps en temps sur des jeunes élèves soumis à une pression monstrueuse. Ils n'ont pas le droit au moindre écart, à la moindre fausse note. C'est un milieu cruel où la compétition règne et où le surpassement de soi est un mode de vie. Entre le professeur et l'élève peut ainsi rapidement s'instaurer un rapport de dominant-dominé, de pur sado-masochisme.

Le film prend un tournant avec le début de liaison entre Erika et Walter. On pouvait s'attendre à une histoire classique : la prof qui pour la première fois s'abandonne dans les bras d'un jeune éphèbe, l'attrait de la jeunesse, la peur d'être abandonnée. Mais non. A la surprise générale, le plus épris des deux est Walter. Il aime sincèrement Erika et sa démarche est surtout romantique : dans sa tête il a imaginé avec elle une véritable histoire d'amour. Une aubaine pour la vieille fille ? Là encore Haneke surprend : Erika refuse l'amour de Walter, elle le perçoit plutôt comme l'homme qu'elle attend depuis longtemps, celui qui réalisera ses fantasmes sexuels les plus tordus. Elle lui donne ainsi une lettre où elle lui explique ce qu'elle attend de lui (ce qui donne lieu à une scène magistrale de lecture, bourrée de sentiments et sensations complexes). Nous voilà donc devant deux êtres qui vont difficilement parvenir à s'épanouir. Qui bouffera l'autre ? Cela n'a peut être pas autant d'importance qu'on voudrait le penser. Il s'agit là du parcours d'une femme en quête de libération. Les personnages sont complexes, les dialogues géniaux, Benoit Magimel et Isabelle Huppert livrent des prestations époustoufflantes. C'est un film libre, sans tabous et limites, qui fouille au plus profond de ses personnages. Il y a là de la rage, de la crasse et aussi une sensibilité et une beauté peu communes. Et puisque la mise en scène est formidable on ne peut que se ravir : un des plus grands films du début des années 2000.

 

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