Nous descendons du camion pour une balade de deux heures à pied vers la montagne, pour voir cascader l’eau. Le point fort est le passage de la rivière sur un tronc un peu glissant, un simple câble tendu à hauteur de main permettant de se guider, certainement pas de se retenir. Cela impressionne fort.
Myrtilles et airelles tapissent le sol, tandis qu’émergent difficilement près de la rivière des saules nains. Certains se gavent des myrtilles. Et la leptospirose si un renard arctique a pissé dessus ? – Non, me répond une fille marrante et photographe, avec la pluie plusieurs fois par jour, tout a été rincé ! Pas bête…
Il ne pleut plus mais le sentier de terre est glissant. Nous grimpons par des raidillons parfois gravillonnés jusqu’à une falaise qui nous donne vue sur la cascade en face. Elle tombe sur 198 m de hauteur avec un glapissement de géante échevelée. Il est dit qu’elle est la plus haute d’Islande. Le paysage, grandiose à souhait, aurait inspiré le graveur Riou. Deux couvées d’oiseaux nichent dans un creux de la falaise, à hauteur de nos yeux. Ce sont probablement des pétrels. A la jumelle, nous apercevons des boules blanches hérissées au sommet desquelles se tend un bec pointu. Le mont Hvalfell se dresse devant nous, mais nous n’y sommes pas montés.
A la redescente, nous croisons des familles islandaises en week-end dans ce lieu qui attire peu les touristes car il ne figure dans aucun guide. Les kids sont robustes et emplissent bien leurs simples tee-shirts. Eux ont l’habitude de crapahuter ici ou là, mais pour nous il s’agit d’une mise en jambes sans sac à dos. Des saules nains, des bruyères en fleurs, des myrtilles et des baies mûres, et même des lupins bleus poussent près de la rivière.
Nous pique-niquons sur le parking, occasion de faire connaissance avec les produits courants de l’art culinaire islandais. Pas de requin faisandé en petits dés, ni de raie skata dans le même état, pas de filets de morue séché ni de truites fumées à la crotte de mouton, pas d’agneau salé ni fumé au bouleau, ni de saucisses de foie de mouton, ni encore de couilles de bélier aigres, ni de perdrix des neiges, ni de macareux rôti… Mais nous avons du hareng rollmops, du hareng sauce crème et curry, du ‘caviar’ d’œufs de morue en tube, une salade de crevettes sauce mayonnaise, du pain de mie bis, une soupe en sachet Knorr et même du café chaud.
Ce soir, nous avons décidé collectivement de camper en sauvage près d’un lac que connaît Robert. Nous avons tout ce qu’il faut dans la remorque du camion, et de l’eau pure dans le lac.
Avant le camp, nous pouvons voir, par les vitres du bus, la campagne verte où paissent des moutons. On nous le dit, et nous le constatons, les moutons vont souvent par trois. L’explication habituelle est que ce sont la mère et ses deux petits. Mais ce n’est pas toujours le cas, nous en avons vu par quatre, ou un bélier et deux brebis… Des rangées de barbelés font des sections où les bêtes sont laissées libres tout l’été avant d’être rassemblées par des bergers à cheval. Ils sont tondus deux fois l’an, en avril et octobre. De curieuse grosses balles de golf sont disséminées ici et là dans les prés. S’il existe quelques vrais golfs verdoyants, ils ne sont pas la majorité des endroits herbus. Ces grosses balles sont du foin, soigneusement planté, fauché, séché et retourné avant d’être mis sous plastique pour nourrir les moutons durant les longs mois d’hiver. Ils s’empilent généralement le long des murs de ferme. Mais leur forme ronde, les fermettes aux murs noirs ou rouges, donnent au paysage l’air d’un jouet pour fillettes. Au bord d’un fjord se dresse une usine de dépiautage de baleines mortes, cueillies lorsqu’elles s’échouent. Est récupérée la chair, l’huile et la peau. Suit une usine d’aluminium, une de plus, la bauxite étant importée par mer pour être traitée ici. Il se remet à pleuvoir.
Nous faisons un arrêt dans l’un des hauts lieux de l’Islande routière : le restoroute. Kids et ados viennent du bourg voisin y acheter des glaces et regarder avec pudeur des étrangers de passage. Les desserts, très féculents sucrés, sont soigneusement conservés sous cloche. Des étals entiers de barres chocolatées et divers bonbons prouvent que la malbouffe américaine sévit ici plus qu’ailleurs. Deux filles sucent des glaces au yaourt avec une bouche gourmande pour le crémeux laiteux. Des gamins jouent au bandit manchot pour quelques pièces. Les touristes s’y arrêtent pour y boire une soupe ou acheter des sucreries, un café, voire une carte.
Derrière la route s’étend le bourg, un joli Borgarnes aux maisons bordant le fjord Borgarfjördur. Mais toute activité sérieuse ne se passe qu’à Reykjavik, à peu de distance encore, le collège, le travail. C’est sur cette côte de la baie de Faxa que s’est échoué le ‘Pourquoi pas ?’ du commandant Charcot, de retour d’études arctiques. Nous étions le 15 septembre 1936 et les rochers ont fracassé la coque dans la tempête, ne laissant qu’un seul survivant.
De là, nous piquons droit vers le nord avant de prendre une piste pour le lac Hitarvatn. Le paysage se fait sec, une lave stérile couvrant en un chaos le sol. Les collines présentent des découpes de château fort, le sol à leur pied se figeant en vagues tourmentées couvertes de lichens. Entre elles serpente la piste de pouzzolane noire. Nous sommes sur le territoire basaltique d’un ancien volcan effusif.
Comme exigé, a lieu le montage collectif de la tente mess, une structure haute de deux mètres cinquante tenue par trois piquets de fer et plantée au sol par de multiples sardines dedans et dehors. Les tentes à deux sont montées ensuite, non des igloos mais cette fois des canadiennes à l’armature toute extérieure, peut-être pour donner moins de prise au vent. Ces tentes Beaubourg sont basses de plafond et bien étroites.
Comme il n’est que 18 h, pourquoi ne pas aller voir d’un peu plus haut le paysage ? Un trekkeur ne peut voir un sommet sans avoir envie d’y grimper et c’est ce que nous faisons, marchant dans la bruyère mouillée vers la colline qui domine le lac. Cela sous la pluie qui a repris et dans le vent qui s’est levé. De quoi bien mouiller les chaussures et le bas de pantalons, qui ne vont certainement pas sécher durant la nuit…
Au retour, le temps que se prépare le dîner, j’ai enfin un peu de temps libre à consacrer à mes notes. Deux ou trois personnes peuvent aider Le guide à la fois, car il n’y a guère de place. Il pleut toujours, lentement, inexorablement. Le dîner consiste en une soupe en sachet accompagnée de filets de cabillaud au riz, sauce béchamel. Le dessert est du yaourt liquide, appelé ici Surmjölk, sur lequel on ajoute un coulis de myrtilles en brick.