La vie d’un poulpe est dure, cruelle, et souvent brève. Fils de la mer, il en est aussi l’enfant mal-aimé, celui que les grosses brutes dévorent vivant dans la cour de récréation, de leurs dents
acérées et féroces, sous le regard indifférent de ses camarades qui ne bougeraient pas une nageoire pour lui venir en aide, trop heureux de ne pas être à sa place.
Son tempérament est mutilé par le rabaissement constant dont il est victime dans son écosystème. Ainsi brimé, il présente au regard du monde une bonhomie placide et un peu triste, et surtout,
sans ambition, sans espoir de reconnaissance. Car il est pour un poulpe excessivement difficile de réussir à percer dans le monde. L’ascenseur social ne lui est pas destiné, les boutons sont trop
hauts, hors de portée de ses tentacules qu’il agite faiblement, dans un geste vain et sans illusion. Et si même il était assez grand pour se hisser jusqu’aux boutons, il ne saurait appuyer
dessus, car son être est mou, mou comme un vieux pneu abandonné.
Non, la nature n’a décidément pas été douce avec les poulpes.
C’est pourquoi la vie de Paul le poulpe n’en est que plus extraordinaire, c’est pourquoi Paul est une source d’inspiration pour nous tous !
Car Paul n’a jamais baissé la tête. Face à un monde qui ne voulait pas de lui, Paul a su imposer son talent, sa prescience, et devenir l’étoile du showbiz que nous connaissons, et que nous
aimons. Jour après jour, durant la coupe du Monde, Paul a su nous prédire, sans se tromper une seule fois, les résultats de l’Allemagne. Cet exploit ne saurait être dû au hasard. Les statistiques
sont bien trop en sa défaveur, il n’y aurait pas une chance sur un million pour qu’il ait vu juste par hasard. Non, c’est uniquement son talent qui lui vaut sa reconnaissance dans le monde
entier.
Et ce monde entier a hurlé d'une seule voix pour empêcher l’exécution infâme qui lui était réservée par des supporters allemands furieux, oui, le monde entier a su s’unir pour faire reculer la
main du bourreau qui déjà d’une main levait un hachoir acéré au-dessus de sa tête et de l’autre faisait frire l’huile qu'il s'apprêtait à offrir comme linceul au corps de sa victime innocente
!
Oui. Paul a su faire ce que le Dalaï Lama ou Gandhi n’ont pu réussir : faire reculer la barbarie dans le monde. Paul a donné à l’humanité une raison d’espérer un monde meilleur !
Aujourd’hui, vous le savez, Paul est mort. A l'âge tendre de deux ans et demi, il a rejoint la droite de Poséidon, aux côtés de Jacques-Yves Cousteau, de Willy et de Capt’n Igloo.
Mais si les larmes salées nous montent aux yeux en cette heure tragique, si nous nous sentons abandonnés, orphelins, il nous faut refouler cette douleur, réprimer ces larmes, et ne retenir que la
formidable leçon de vie que Paul nous a apprise, pour avancer dans nos vies, et voir plus loin, et croire encore qu’un meilleur monde est possible.
C’est pourquoi, aujourd’hui, je vous demande le recueillement. Certains esprits cyniques parmi vous vont, je n’en doute pas, juger bon de faire les malins avec des propos provocateurs. Je vous en
prie, avant de répliquer, pensez un peu à l’être qui vient de nous quitter, à sa vie que jamais le moindre soupçon de tricherie ou de dopage, ou même d’appât du gain, n’a obscurci, et ayez un peu
de respect. A cette vie qui, comme tant d'autres, s'est achevée trop tôt.
Paul, tu es pour nous un soleil éclatant qui donne la lumière à nos vies, et nous ne t’oublierons jamais.