Le Cimetière

Publié le 26 octobre 2010 par Hunterjones
Quand mon père est décédé, on a découvert qu'il avait choisi sur son testament d'être incinéré.
Ça nous as d'abord surpris car mon père a souvent aimé être bien visible. Mais ça c'était de son vivant. Il ne se trompait pas, couché les yeux fermés, personne n'était en mesure d'imaginer cet hyperactif ainsi.
Ce choix était le sien et c'était très bien comme ça. Ce que l'on a pas réalisé tout de suite c'est que ce choix nous privait, les vivants restants, d'un lieu de communion. Un endroit où on aurait pu faire face à une pierre et faire face, à notre manière, au défunt.
On s'est tous fait faire des photos et on parle de temps à autre à ses photos placées dans nos maisons respectives. J'ai une pensée pour lui à chaque matin que le bon dieu me donne. Ce sportif jogge avec moi.
Vendredi dernier, à Sherbrooke, avait lieu un hommage aux donneurs d'organes dans une église de la rue de la cathédrale. Mon père a donné, à titre prosthume, de la cornée de ses yeux à quelqu'un dans le besoin.

Dans un élan spontané, alors qu'à l'origine seule ma mère et une de mes soeurs s'y rendaient, nous nous sommes rendus à cet hommage en famille. Tous les Jones ensemble. Comme une marche dans un cimetière que nous ne visiterons jamais. Moi en partant de Montréal. Mes soeurs en partant du 418. Les enfants de tous et chacun, trop contents de commencer leur fin de semaine en manquant de l'école. Cousins, cousines trop heureux de partager la piscine de l'hôtel dès jeudi soir. Quand la direction est venue nous avertir de faire moins de bruit à minuit, je finissais tout juste ma troisième bouteille de rouge.
La cérémonie du lendemain matin était parfaite. Sur 232 donneurs d'organes, mon père était 228ème. Les donneurs allaient être honorés en ordre de déces. Parti en décembre, il était nécessairement à la fin. On a entendu le même texte lu plus de 200 fois sur deux heures et demie. Si ceci a donné le temps aux enfants de réaliser qu'ils s'ennuyaient, les grands ont pris le temps de se recueillir un peu. Dans une église auquelle peu d'entre nous croyons totalement mais en pensant à un père auquel nous croyions beaucoup.
Toute la cérémonie était en sobriété et était extrèmement touchante. Il y avait une jeune mère qui se présentait sur scène avec son fils d'une dizaine d'année pour honorer une "Mégane" dont le prénom trahissait la jeunesse. Un Machinchouette Junior était honoré par Machinchouette Sénior ce qui m'a pincé le coeur et m'a fait dire à mon fils "fais-moi jamais le coup de partir avant moi sinon je te tue".
L'école de danse de ma fille se nomme l'école de danse Suzie-Paquette. La Suzie Paquette en question est décédée un mois ou deux avant mon père. De la même chose, un anévrisme au cerveau. Elle avait 50 ans. Elle était aussi honorée ce jour-là. Ses parents sont tous deux allés chercher la médaille sur scène. L'ironie voulait que nous quittions Sherbrooke tôt en après-midi justement parce que ma fille avait un cours de danse à l'école de danse Suzie-Paquette de 17 à 18h.
À la toute fin, on a aussi honoré les gens qui ont donné de leur vivant une partie d'eux-même à un proche. Extrèmement touchant de voir ses frères, ses fils, ses amis se donner un rein. De voir le donneur et le receveur marcher main dans la main dans l'allée. Particulièrement cette femme dans la quarantaine qui a donné une partie de son rein à une fillette de 7 ou 8 ans et ce baby-boomer qui a donné son rein à un collègue de travail  du même âge. Ça assainnit définitivement les relations de travail. Vous croyez qu'un lock-outé reçevrait un rein d'un cadre du Journal de Montréal?

Nous nous sommes tous rendus au parc Jacob-Nicol où y était érigé un monument-hommage et où y était inscrit le nom de mon père à jamais.
Papa nous avait commandé une petite neige et un froid comme on les aime. Enfin comme je les aime, pas sur pour mes soeurs et ma mère.
Même au travers de la mort il trouve le moyen de rendre honneur à l'homme généreux qu'il était.
Il nous as aussi trouvé un endroit, ailleurs que dans nos coeurs, où son nom y sera gravé à jamais.
Une sorte de cimetière.
Moyennant un petit passage dans le 819.