Son livre est un long cri. Il exprime le désespoir des «survivants», la douleur des mères, des femmes, des enfants orphelins, en face de ce qui n’était pas une guerre ou une insurrection, mais en face d’une barbarie pure pratiquée au nom d’une religion.
Nacera (qui deviendra plus tard Nassira de son vrai prénom) fut une enfant des Aurès. D’une famille aisée, elle allait à l’école, elle fut plus tard, lorsque la pression de la première guerre d’occupation ou de libération fut par trop contraignante, étudiante à la faculté d’Alger. Elle fut journaliste d’information dans des journaux comme « le Matin », « Le Soir d’Alger », et parallèlement mère de famille et éducatrice spécialisée pour enfants. Elle a vécu dans sa jeunesse l’occupation par les Français, la répression par les FLN, sa famille en paya le tribut.
Tout cela se passait entre les décennies 60 et 70 :
« C’est à ce moment là que les premiers groupes islamistes ont commencé à s’entraîner dans le maquis. Les gamins d’octobre 1988 (la révolte des étudiants et des jeunes) n’avait donné qu’un coup de semonce à la crise qui allait pousser le pays dans une ère de bouleversements et de tourments. Dès 1986, avait commencé une effervescence sociale face à une démographie galopante, à une crise du logement, à une agriculture moribonde et une industrie stérile. C’est vrai que c’est à cette époque qu’avait aussi commencé la contraction du pactole pétrolier avec les conséquences connues, celle du manque de devises et l’Algérie est avant tout un pays importateur »…
Chadli promulgua la nouvelle constitution et autorisa des élections multipartis permettant à la mouvance islamique d’asseoir sa légitimité. Ils remportèrent les élections municipales et purent acquérir ainsi un sentiment d’impunité. Leur mouvement s’organisa, créa le GIA (Groupe islamiste armé) et alors commença une ère d’intimidation, de terreur à coups d’assassinats de gendarmes, de fonctionnaires, de journalistes, de massacres systématiques d’habitants de hameaux entiers.
Les Algériens n’osaient plus se déplacer, craignant les faux barrages de faux policiers (la police et l’armée intervenaient aussi), les enlèvements.
« Quand le règne du FIS avait commencé, il avait entrainé dans son sillage, hélas, de nombreux partisans, divisant beaucoup de familles, d’amis et de voisins. Des femmes adoptèrent le hidjab et, sous prétexte d’une loi divine, acceptèrent de bonne grâce la polygamie, et même « Zaoud El Moutad », ou le mariage de jouissance ». (Ce mariage temporaire et sexuel a cependant ses obligations et a été interdit par toutes les obédiences de l’islam sauf par le chiites. Les terroriste du GIA et du FIS en ont fait une généralité dans leur milieu).
Désorientés, les Algériens ne croient plus en leur gouvernement, surtout depuis l’assassinat de Mohamed Boudiaf, que les jeunes générations n’ont pas connu, mais qui reste une figure légendaire de leur histoire. « Cette histoire justement qui n’a jamais été enseignée correctement dans les écoles. Certains détenteurs du pouvoir ont préféré amputer notre nation de notre identité réelle et ils continuent à le faire ». Ce laisse la part belle à ces « barbus à la peau jaune » (jaune à cause des produits anti-hémorragiques dont ils se gavaient en cas de blessures par balles), les imams pouvaient prêcher sur ce terreau fertile que représentait ces esprits laissés en jachère, illettrés, sans formation, souvent sans toit. Peuple à la dérive. Interdiction aux filles d’aller à l’école, aux femmes de travailler (le chômage est de leur faute, elles ont pris le travail des hommes), interdiction de boire du vin, de fumer. Chacun épie l’autre et le vend sans vergogne pour avoir l’espoir de la vie sauve. Un monde d’ultra délation s’instaure. Et les actions punitives arrivent …
Malheur à la famille dont l’un des enfant est allé faire son service militaire (5 ans), s’il revient voir ses parents, les tueurs sont là, les attendent, les égorgent. Malheur à l’agent de police qui doit aller à son commissariat tous les jours, s’il change de chemin tous les jours, il doit sortir de chez lui et là … alors, ils ne rentrent pas et laissent leur famille dans l’angoisse, vont-ils venir ? vont-ils s’attaquer à nous ? On vit les volets fermés, on guette les bruits la nuit. Inutile de compter sur l’aide de ses concitoyens, c’est du chacun pour soi. Personne ne voit rien, personne ne dit rien. Tout acte de compassion vis à vis d’un de ces damnés est puni de mort … recouvrir le cadavre d’un voisin d’un drap et c’est la mort !
Nacera ira pour son journal dans ces hameaux dévastés, elle verra les petits corps d’enfants mutiles, les familles … elle suivra les quelques rescapés à l’hôpital où rien n’est prévu pour accorder le moindre soutien psychologique, elle tentera tout ce qu’elle pourra tout en tremblant pour les siens. Dans ce livre elle raconte l’histoire de ces petits torturés par la démence des autres, encore et encore, elle donne leur nom ….