Mais qu'est-ce que l'Agnès de L'Ecole des femmes vient faire dans cette galère ?
Rien d'autre, amis lecteurs, que me souffler, grâce à sa réplique du tout début de la scène 5 de l'acte 2, le titre de mon intervention de ce matin, la dernière avant le congé de Toussaint.
Vous m'accorderez, quand vous en aurez dans quelques instants découvert le sujet, qu'il est particulièrement d'actualité en cette veille de Toussaint !
Ce n'est évidemment pas la raison pour laquelle je l'ai choisi : en revanche, c'est parce qu'il est grave, qu'il va certainement provoquer quelques réactions peu amènes à l'égard des pratiques égyptiennes antiques, voire peut-être du dégoût dans les rangs de celles ou ceux qui militent aux côtés de madame Brigitte Bardot, qu'il m'a plu de convoquer d'emblée la jeune, charmante et bien innocente héroïne de Molière.
En quelque sorte, un peu de soleil, non pas dans l'eau froide, mais dans le natron
...
Ce mois-ci, souvenez-vous, à plusieurs reprises, et notamment dans deux articles consacrés à la déesse Bastet, le 12 et le 19, j'avais approché, sans trop y accorder de détails, la momification dont les chats, à l'extrême fin de l'histoire pharaonique, avaient sur grande échelle fait l'objet.
C'est ce thème délicat que je voudrais aujourd'hui aborder avec vous, aux fins de poursuivre leur évocation commencée le 21 septembre dernier, sans toutefois encore y apposer un point final.
Permettez-moi, en guise de prémices, une petite précision chronologique, certes déjà indiquée auparavant, mais qu'il est bon à mon sens d'à nouveau rappeler - vingt fois sur le métier ... - : si la vénération des chats fut un fait avéré depuis la plus haute antiquité sur les rives du Nil, leur embaumement en grand nombre et à destination magico-religieuse n'intervint que très tard dans l'histoire du pays ; et encore, mit-il du temps à se répandre ...
Dès la XXIIème dynastie, c'est-à-dire vers le milieu du 8ème siècle avant notre ère, Bubastis, cette ville de Basse Egypte, à l'est du Delta, dont le temple était voué à la déesse Bastet, tout à la fois lionne et chatte, devint le principal centre de momification par milliers de petits félidés. L'engouement - la mode ? - prit ensuite une première extension à l'époque saïte, soit à la XXVIème dynastie, deux siècles après. Mais en réalité, ce ne sera qu'à partir de la XXXème et ultime dynastie autochtone, à laquelle succéderont la seconde domination perse, puis l'époque gréco-romaine que proliféreront les nécropoles de chats dans tout le pays.
Trois sites, parce qu'ils sont les plus importants quant au nombre de momies mises au jour par les archéologues et aussi, vraisemblablement, par les pilleurs de tombes, retiendront notre attention : Bubastis, donc, et le Bubasteion de Saqqarah, déjà précédemment cités, ainsi que le Speos Artemidos de Beni Hassan où, en 1988, furent retrouvées pas moins de 300 000 momies de félidés !
Dans tous ces cimetières, les animaux embaumés le furent de différentes manières : soit ils
étaient simplement enveloppés de bandelettes,
comme celle-ci (N 2889) que vous pourrez découvrir tout à l'heure, à la fin de mon intervention, dans la vitrine 8 de la salle 19, la dernière de ce parcours thématique du rez-de-chaussée du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre ; soit ils étaient placés dans un petit sarcophage en bronze ou en bois auquel avait été donnée la silhouette de l'animal
comme celui-ci (E 2531), en bronze, dans la même vitrine de la même salle 19.
Que ce soit ici à Paris, ou au British Museum de Londres, les études qui ont été menées sur les différentes momies de chats en leur possession, notamment au niveau de la dentition, révélèrent incontestablement que les prêtres sacrificateurs choisissaient de très jeunes animaux, voire même des nouveau-nés qu'ils étranglaient ou dont ils tordaient le cou, qu'ils noyaient, aussi parfois, ou dont ils fracassaient le crâne ou fracturaient certains os ou le nez, ou ... ou ...
Des prêtres ? Pour quelles raisons ?, me demandera certainement l'un ou l'autre d'entre vous.
Il faut en réalité savoir qu'aux derniers siècles précédant notre ère, dans les dépendances des temples honorant la déesse Bastet des différents sites évoqués ci-avant, existait un véritable commerce magico-religieux entretenu par le personnel sacerdotal, qui consistait à élever des chats par milliers, puis à les sacrifier et enfin à les embaumer dans le but de les vendre aux fidèles qui, se présentant là en très grand nombre, ne désiraient rien tant qu'acquérir semblable ex-voto qu'ils souhaitaient consacrer à la divinité lors de leur pèlerinage, qui pour lui demander une faveur, qui pour la remercier à la suite d'un souhait exaucé ...
Vous aurez aisément compris que ces pratiques nécessitaient un élevage outrancier de ces petits félidés - élevage que l'on pourrait même, sans trop d'anachronisme, qualifier d'industriel -, et leur sacrifice dans des délais très brefs : quatre mois après leur naissance, c'est-à-dire quand estimation était faite qu'ils avaient atteint la taille adéquate pour présenter une momie de belle facture ou, pour ceux non gardés en vue d'une éventuelle reproduction, entre 9 mois et un an.
Mais, soit qu'il y eût des périodes pendant lesquelles ce fructueux commerce ne fut que parcimonieusement approvisionné, soit que les prêtres désirassent rentabiliser au maximum la croyance populaire, l'on a constaté qu'il existe en nos musées des "momies de chats" ne contenant, certaines une tête, d'autres une patte seule ; quand ce n'est pas, comme à Beni-Hassan, la colonne vertébrale et les deux pattes arrière d'une ... grenouille !! ; ou, comme à Saqqarah, découverts par l'égyptologue français Alain Zivie en quantité non négligeable dans la tombe de Maïa, nourrice de Toutankhamon, des emballages zoomorphes remplis de matériaux divers non organiques !!
A ce sujet, Tifet, artiste et de
surcroît fidèle lectrice, évoqua même, dans un précédent commentaire, la présence de cailloux et de terre glaise à l'intérieur
de ces momies factices ...
Et le Professeur Zivie de conclure : "... le clergé tirant de ce commerce des bénéfices certains, on ne peut écarter l'hypothèse de pratiques frauduleuses."
Ce ne sera qu'à l'époque romaine, quand le nouveau dogme chrétien s'imposera peu à peu, que la pratique de ces offrandes animales à la déesse Bastet, jugées "barbares", s'étiolera progressivement avant de définitivement cesser.
(Charron/Ginsburg : 1989, 20-4 ; Zivie : 2003)
Conscient, comme je le notai déjà samedi dernier, que les congés scolaires de la Toussaint qui débutent ce vendredi soir peuvent, comme ce sera mon cas, emmener certains d'entre vous, sur l'une ou l'autre route des vacances, je vous donne rendez-vous, amis lecteurs, le mardi 9 novembre prochain aux fins d'évoquer la dernière des figurines de chats exposées dans la vitrine 3 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.
Bon congé à tous ...