Mon oncle Marcel, d'abord, je ne l'ai jamais appelé "mon oncle". Il faut dire qu'il est devenu le conjoint de ma tante (une soeur de ma mère) dans des années où le fait d'être conjoints mais non mariés n'étaient pas encore socialement très bien vu. Ainsi, dans la famille aux idéaux traditionnels de mon grand-père, il n'était pas devenu "mon oncle" en devenant le conjoint de fait de ma tante, il était simplement resté "Marcel".
Pourtant, au fil des ans, Marcel allait devenir un oncle plus présent dans ma vie, et avec plus d'influence sur celle-ci, que la plupart des oncles mariés aux autres soeurs de ma mère.
C'est que mon oncle Marcel, il aimait lire, il aimait réfléchir... et il aimait voyager.
Je me souviens de soirées, dans ma jeunesse, chez Marcel et ma tante, où il nous parlait de ses voyages, ou nous posait des énigmes, ou encore organisait des jeux intellectuels ou mémoriels.
Avec les années - nous avons rarement habité la même ville après mon départ de la maison familiale - nos rencontres ont été ponctuées de discussions de philosophie, ou de psychologie; il lisait Cioran, écoutait Brassens, parlait de Camus et me racontait l'origine ou l'histoire des souvenirs de voyage composant son armoire d'artefacts. Nous parlions aussi religion, au sens large, philosophique, je dirais, car Marcel n'en pratiquait aucune. Dans ma jeunesse, vers l'âge de 12-14 ans, Marcel était le premier athée assumé que je rencontrais et avec qui je pouvais parler librement et ouvertement de ce genre de chose. L'affaire peut avoir l'air amusante aujourd'hui, mais en région éloignée avant 1980, ce n'était pas si courant (même s'il y avait beaucoup de non pratiquants, s'affirmer comme athée était une autre histoire).
Mais le plus souvent, on parlait voyage, avec Marcel.
Marcel n'est évidemment pas le seul responsable du développement de ces passions, mais les nombreuses soirées ou simples discussions à parler de "l'étranger" (de voyage comme de simple philosophie de vie) comptent pour beaucoup dans mon mode de vie actuel.
Il faut dire que c'était exotique de parler avec Marcel (ça l'est encore d'ailleurs, et toujours un plaisir à chacune de nos rencontres). Marcel, il était allé en Haïti à l'époque Duvallier, il avait vu les pyramides d'Égypte, il me parlait du red light de Bangkok ou des bidonvilles de Calcutta, il avait visité Israël et la Jordanie. Il pouvait me parler des dromadaires du Maghreb comme des policiers corrompus du Mexique, qu'il avait parcouru en voiture. Je me souviens encore que c'est par Marcel que j'ai entendu parler pour la première fois des sandinistes et des contristes nicaraguayens (il était tombé par hasard sur un camp d'entraînement contriste lors d'une "errance" dans le nord du Costa Rica).
Il m'avait précédé dans biens des secteurs de la terre, comme en Thaïlande et au Maroc, mais je devais explorer à mon tour des coins de planète où il n'avait pas mis les pieds et nos discussions n'en sont devenues que plus riches et intéressantes.
Même si, comme moi, il n'aime pas le froid de l'hiver québécois et l'évite la plupart du temps (en Martinique ou en Guadeloupe, par exemple), depuis quelques années, Marcel voyage un peu moins. Par hasard, au moment d'écrire ceci, il revient toutefois d'un séjour dans le sud de la France - où il aura visité la charmante Arles, que j'avais bien aimé lors d'un passage en 2006.
J'ai trouvé que c'était donc un bon timing pour vous parler de mon oncle Marcel et le remercier publiquement pour son amitié depuis toutes ces années.
--
Photo: Marcel en Martinique (probablement fin 1999 ou début 2000).