« L’autorité du
gouvernement, même si elle est telle que j’accepte de m’y soumettre – car j’obéirai volontiers à ceux qui en savent plus que moi et font mieux que moi, et à plusieurs égards, même à ceux qui n’en savent pas autant et font moins bien –, reste impure : pour être strictement juste, elle doit posséder l’agrément et le consentement des gouvernés. Elle ne peut avoir le droit absolu sur ma personne et ma propriété sinon celui que je lui concède. Passer d’une monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle, d’une monarchie con
stitutionnelle à une démocratie, c’est un progrès vers le vrai respect pour l’individu. Même le philosophe chinois fut assez sage pour tenir l’individu comme le fond
ement de l’empire. La démocratie, telle que nous la connaissons, est-elle la dernière amélioration possible à un gouvernement ? N’est-il pas possible d’aller plus loin dans la reconnaissance et l’organisation des droits de l’homme ? Il n’y aura jamais d’Etat vraiment libre et éclairé tant qu’il ne reconnaîtra pas l’individu comme un pouvoir plus altier et indépendant, d’où dérivent son propre pouvoir et son autorité, et qu’il ne le traitera pas en conséquence. Il me plaît à imaginer un Etat qui puisse se permettre d’être juste envers tous les hommes et qui traite l’individu avec respect comme un voisin ; qui ne jugerait pas sa propre quiétude menacée si quelques uns s’installaient à l’écart, ne s’y mêlant pas, en refusant l’étreinte, sans pour autant s’abstenir de remplir tous les devoirs de bons voisins et de compatriotes. Un Etat qui porterait ce genre de fruit, et le laisserait tomber aussi vite qu’il a mûri, ouvrirait la voie à un Etat encore plus glorieux et parfait, que j’ai également imaginé sans le voir nulle part. »
Henry David Thoreau, La Désobéissance civile
« Chaque lutte se développe autour d’un foyer particulier (l’un de ces innombrables petits foyers que peuvent être un petit chef, un gardien de H.L.M., un directeur de prison, un juge, un responsable syndical, un rédacteur en chef de journal). Et si désigner les foyers, les dénoncer, en parler publiquement, c’est une lutte, ce n’est pas parce que personne n’en avait pris conscience, mais c’est parce que prendre la parole à ce sujet, forcer le réseau de l’information institutionnelle, nommer, dire qui a fait quoi, désigner la cible, c’est un premier retournement de pouvoir, c’est un premier pas pour d’autres luttes contre le pouvoir. Si des discours comme ceux, par exemple, des détenus ou des médecins de prison sont des luttes, c’est parce qu’ils confisquent au moins un instant le pouvoir de parler de la prison, actuellement occupé par la seule administration et ses compères réformateurs. Le discours de lutte ne s’oppose pas à l’inconscient : il s’oppose au secret »
Michel Foucault, avec Gilles Deleuze, « Les intellectuels et le pouvoir », mars
1975, Dits et Ecrits, I, p.1181