Roi Heenok pourrait être le chaînon manquant entre les Monty Pythons, JCVD et le Rap. Découvert en 2004 sur la toile, avec une série d’interviews d’anthologies, Roi Heenok, a consacré une nouvelle discipline dans le vase clos du microcosme rap français et francophone : celle du divertissement. En 2008, la police de Montréal n’est pas du même avis que les internautes. Elle l’arrête, suite à la diffusion de podcasts avec sa collection de "bruleurs" comme il les appelle. Il sera poursuivi pour détention illégale d’armes à feu. Sous le coup de cette accusation, Roi Heenok risque de la prison ferme. La justice rendra sa décision en Novembre prochain. Un documentaire en deux parties, dresse le portrait du Roi Heenok entre Montréal, Paris et New York. Les réalisateurs Amine Bouziane et Julien Lafont ont suivi le Roi Heenok sur trois ans et répondent subsidiairement à cette question : Roi Heenok et Henoc Beausejour sont-t-ils bien différents ?
Pourquoi avoir fait ce documentaire en deux volumes ? Est-ce que le sujet nécessitait deux parties ?
Amine Bouziane : On a décidé de faire un documentaire sur le Roi Heenok comme d’autres font un film de vacances. Nous avons tourné sur trois étés pour avoir de la matière. Il nous était impossible de tourner en continu sur un an parce que nos emplois du temps ne nous le permettait pas. Et puis rétrospectivement, je trouve que c’est plus intéressant ainsi. Ca permet d’inscrire Roi Heenok dans le temps. De voir comment il évolue. Le dernier été, c’est là, où nous avons eu les séquences les plus intimistes. Et c’est ce qui faisait défaut jusque-là. Puis la dernière semaine, Roi heenok décide d’aller à New-York pour retrouver GOD de Infamous Mobb. Le documentaire était déjà ficelé dans nos têtes alors plutôt que d’escamoter une partie pour une autre. On a décidé de sortir ce documentaire en deux dvds.
Quelle était votre intention sur ce film ?
Amine Bouziane : D’abord de se faire plaisir. Julien et moi travaillons en télé, ce qui veut dire qu’on se plie à la logique et la charte du diffuseur. Là, c’était l’occasion de faire un film sans se soucier d’autres choses. C’était un moyen de renouer avec la notion de plaisir et de liberté. Il n’y a pas de voix off. On ne prend pas le spectateur par la main en lui disant : "quoi penser".
Pourquoi avoir choisi Roi Heenok ? quel a été le point de départ de cette aventure ?
Amine Bouziane : Pourquoi pas ? Je connaissais bien évidemment les podcasts qui l’ont fait connaître. Mais ça s’arrêtait là. Et puis je suis allé à Montréal et là, j’ai vu que le personnage défiait l’entendement général. Je me suis dit qu’il y avait vraiment quelque chose à faire. Il fallait pouvoir proposer un portrait et le suivre comme l’émission Strip Tease le faisait en son temps. Si on y regarde de plus prêt, beaucoup de rappeurs français ont repris à bon compte les expressions du Roi Heenok dans leurs textes ou en interviews. D’une certaine manière, il a marqué l’inconscient collectif. La rencontre avec Roi Heenok a été fortuite mais elle a concrétisé une idée que j’avais depuis un moment. Faire une collection de documentaires sur des personnages insolites. On a décidé d’appeler cette collection : "Le Monde selon..." La collection est déjà avancée. J’en dirais pas plus sur les personnages et les courants qui seront traités. Ca sera sur des personnages très différents. Je voulais suivre Peter Steele de Type O Negative mais il a eu l’indélicatesse de mourir avant.
Qu’est-ce qu’apporte ce documentaire par rapport à tout les podcasts du Roi Heenok qui sont sur le net ?
Amine Bouziane : Il y a plusieurs niveaux de lectures. Il y a le côté "divertissement" en ce sens où Roi Heenok arrive avec de nouveaux thèmes, une nouvelle sémantique et des tournures idiomatiques toujours aussi coquaces. Donc pour ceux qui sont férues du Roi Heenok, ce sera l’occasion d’avoir quelques updates. Mais il ne faut pas oublier que c’est un documentaire. On raconte une histoire. Ca n’est pas un condensé de gags. Le documentaire permet de découvrir la ville de Montréal, d’autres personnages aussi. De mieux appréhender d’où vient Roi Heenok. Nous revenons sur son arrestation aussi avec des images exclusives. Et puis, il y a l’objet, c’est un coffret avec fourreau. On a repris à l’intérieur un côté biblique car le prénom de Hénoc, qui est son vrai prénom par ailleurs, fait directement référence au personnage biblique méconnu. Il a par ailleurs écrit une partie de l’Ancien Testament qui s’est perdu. C’est un écrit apocryphe. Roi Heenok connaît d’ailleurs bien la Bible et il le montre à plusieurs reprises dans le documentaire. D’où son côté messianique par moment.
Est-ce qu’il y a des moments où le Roi Heenok joue trop de son personnage ?
Amine Bouziane : oui mais comme toute personne qui se retrouve en représentation devant une audience modifie son comportement. Ensuite, ce qu’on attend d’un artiste, c’est de sublimer la réalité. Pas de faire des dissertations. Est-ce que Elie Yaffa et Booba sont symétriquement identitiques ? J’espère pas. On pourrait se poser la même question pour Prodigy. La réponse reste définitivement non. Les artistes manient avec brio l’hyperbole et les gangsters la litote. Dans le cadre de Roi Heenok, il a connu les deux. Il a arrêté ses activités illégales en 2000 pour se consacrer à quelque chose de plus ludique mais moins rémunérateur. On est en 2010 donc on se dit qu’il a plutôt été judicieux. Puisqu’il ne s’est jamais fait arrêter d’une part et d’autre part qu’il est arrivé à thésauriser. Comme le dit Henoc Beausejour, c’est le Roi qui l’a pris. Ca va peut-être étonné mais ce documentaire est bien en dessous de tout ce que nous avons pu voir et vivre là-bas. Il y a des choses que nous ne pouvions pas filmer et montrer mais imaginez ce qu’aurait pu être un mix entre la "Quatrième Dimesion" et "Weed"...
Pourquoi ne pas avoir montré tout cela ?
Amine Bouziane : Parce que nous avons montré pas mal de choses déjà. Ensuite, il fallait que nous restions sur quelques personnages et puis je n’avais pas envie de mettre des gens dans la merde. Roi Heenok et deux autres artistes de son label sont poursuivis pour détention d’armes et ils risquent de la prison ferme pour cela. Gros Chien, étant trop vieux, a été assigné à résidence pendant deux ans pour le même délit. Et puis, il y a d’autres projets qui sont en cours donc on s’est réservé pour la fin.
Qu’est-ce qui t’as le plus marqué au Canada ?
Amine Bouziane : Il faut dissocier Québec du reste du Canada. Mais disons que Montréal est aux carrefours des identités québécoise et canadienne. On y parle le français et l’anglais. Les quartiers ouest de la ville sont majoritairement francophones et l’Est anglophone même si les montréalais usent de l’anglais et du français. Mais ce qui marque, c’est le synchrétisme entre la pensée américaine et un système social proche de la France.