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L’érosion de l’idéal européen est préoccupante, même pour les Etats-Unis !

Publié le 25 octobre 2010 par Dornbusch

Je reproduis un tribune parue voici quelques jours dans le Monde et qui ne saurait mieux résumer mes réflexions:

« Charles Kupchan, professeur de relations internationales à l’université de Georgetown (Washington)

L’Union européenne est à l’agonie – pas une mort spectaculaire ni soudaine, non, mais une agonie si lente et si progressive qu’un jour prochain, nous Américains, en portant nos regards de l’autre côté de l’Atlantique, découvrirons peut-être que ce projet d’intégration européenne qui allait de soi depuis un demi-siècle a cessé d’être.

Le déclin européen est en partie économique. De nombreux Etats membres de l’Union paient un lourd tribut à la crise financière, et les dettes publiques colossales et la santé précaire des banques du continent ne laissent rien présager de bon. Pourtant, ces malheurs semblent bien bénins comparés à un mal plus grave encore : de Londres à Varsovie en passant par Berlin, l’Europe subit une renationalisation de la vie politique, et ses pays membres réclament la souveraineté qu’ils sacrifiaient jadis bien volontiers au nom d’un idéal collectif.

Pour beaucoup d’Européens, cet intérêt commun n’a manifestement plus aucune importance. A l’inverse, ils se demandent ce que fait l’Union pour eux, et si cela en vaut bien la peine. Si la tendance se confirme, ils pourraient compromettre l’une des réalisations les plus formidables et les plus improbables du XXe siècle : une Europe intégrée, en paix avec elle-même, désireuse d’afficher la puissance d’un ensemble uni. Elle céderait la place à des nations isolées devant se résoudre à l’inexistence géopolitique – ce qui priverait les Etats-Unis privés d’un partenaire prêt à se charger avec eux des fardeaux mondiaux, et capable de le faire.

Cette érosion du soutien à l’Europe unifiée contamine même l’Allemagne qui pourtant, par son obsession d’en finir avec les rivalités nationales qui ont longtemps soumis le continent aux guerres, était auparavant le moteur de l’intégration. La répugnance de Berlin à venir au secours de la Grèce au bord de la faillite financière a ouvert une brèche dans cet attachement au bien commun qui est la marque de fabrique d’une Europe collective. Il a fallu que la crise grecque menace d’emporter toute la zone euro dans la tourmente pour qu’Angela Merkel décide de passer outre l’opposition de son opinion et approuve le prêt. Lors des élections locales en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, les électeurs se sont empressés de sanctionner son parti, infligeant aux chrétiens-démocrates leur plus lourde défaite depuis la seconde guerre mondiale.

Cette manifestation d’avarice est révélatrice d’un plus vaste problème : l’attachement de l’Allemagne à l’intérêt national prend peu à peu le pas sur son enthousiasme pour l’UE. Dans l’un des rares sursauts de vie qui agitent encore le projet européen, les Etats membres avaient adopté le traité de Lisbonne et ainsi doté l’Union d’une présidence, d’un chef des affaires étrangères et d’un service diplomatique.

Et puis Berlin a appuyé la désignation aux postes de président et de haut représentant pour les affaires étrangères d’Herman Van Rompuy et de Catherine Ashton, respectivement, deux personnalités dépourvues de charisme peu dérangeant pour l’autorité des dirigeants nationaux. Même la justice allemande, qui a rendu, en 2009, une décision qui renforce le poids du Parlement national au détriment de la législation européenne, met des bâtons dans les roues de l’Union.

Cette renationalisation de la vie politique a lieu dans toute l’Union européenne. L’un des présages les plus sombres est apparu en 2005 déjà, avec le rejet par les électeurs néerlandais et français du traité constitutionnel, qui devait consolider la stature juridique et politique de l’UE.

Le traité de Lisbonne, l’ersatz qui est venu remplacer ce premier texte, a été rejeté à son tour par les Irlandais, en 2008. Ils ont ensuite changé d’avis, en 2009, mais seulement après s’être assurés que le traité ne mettait pas en cause la mainmise nationale sur la fiscalité et la neutralité militaire.

En Grande-Bretagne, les élections de mai ont amené au pouvoir une coalition dominée par le Parti conservateur, dont l’europhobie est de notoriété publique.

Partout ailleurs, le populisme de droite est en plein essor, conséquence avant tout d’une réaction de rejet face à l’immigration. Ce nationalisme sans nuance ne s’en prend pas seulement aux minorités, mais aussi à la perte d’autonomie que suppose l’union politique. Ainsi en Hongrie, le Jobbik, ou Mouvement pour une meilleure Hongrie, qui flirte avec la xénophobie, vient de remporter 47 sièges aux élections. Même aux Pays-Bas, le Parti pour la liberté, d’extrême droite, a réuni plus de 15 % des voix.

Comme si ces obstacles à la stabilité de l’Union n’étaient pas à eux seuls suffisamment préoccupants, la présidence tournante est revenue, en juillet, à la Belgique, un pays déchiré par des divisions telles, entre Flamands néerlandophones et Wallons francophones, qu’il se cherche encore un gouvernement de coalition viable, des mois après les élections de juin. Voilà qui en dit long : le pays qui tient aujourd’hui le gouvernail du projet européen souffre précisément de cet antagonisme nationaliste que la création de l’UE visait à éradiquer.

La renationalisation politique de l’Europe est avant tout le produit du changement de génération. Pour les Européens qui ont grandi pendant la seconde guerre mondiale ou la guerre froide, l’UE représente l’échappatoire à une histoire sanglante. Ce n’est pas le cas pour les plus jeunes. Selon un sondage récent, les Français de moins de 36 ans sont deux fois moins nombreux que les plus de 55 ans à voir l’UE comme garante de la paix. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que les nouveaux dirigeants européens considèrent la valeur de l’Union à travers le prisme de froids calculs coûts-bénéfices, et non comme un article de foi.

Parallèlement, les exigences du marché mondial, ajoutées à la crise financière, viennent mettre à mal l’Etat-providence à l’européenne. Alors que l’âge de la retraite recule et que les profits baissent, l’UE est souvent présentée comme le bouc émissaire responsable de tous les nouveaux malheurs. En France par exemple, les campagnes europhobes désignent à la vindicte l’offensive « anglo-saxonne » de l’UE contre la protection sociale et le « plombier polonais » à qui la libre circulation des travailleurs en Europe permet d’ôter le pain de la bouche aux Français »

David Dornbusch


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