Pardonnez-moi d’évoquer une nouvelle fois le Petit Journal d’ Yann Barthès, mais il se trouve que Canal+ nous offre là l’un des rares endroits de liberté et d’impertinence encore disponibles sous notre République. Mercredi 20 octobre, nous avons ainsi pu voir un sujet consacré à la rencontre à Deauville de la chancelière allemande, Angela Merkel, du président de la Fédération de Russie, Dimitri Medvedev, et du tout aussi considérable Président de la République française, Nicolas Sarkozy, premier et, souhaitons-le, dernier, du nom.
L’équipe de journalistes dépêchée par Canal+ a rapidement constaté qu’elle était suivie partout par un trio d’inconnus obstinément attachés à ses pas. Elle s’est alors amusée à les filmer à plusieurs occasions et a eu la discrétion de ne diffuser ces images qu’après avoir pris soin de flouter leurs visages. Elle a ainsi contribué sans doute à préserver leur anonymat, s’est évité d’éventuelles poursuites pour mise en danger de la sécurité de notre Etat et leur a surtout épargné beaucoup de ridicule.
Nous avons pu contempler ces silhouettes, admirer leurs chaussures, les unes et les autres attentives à coller au plus près à ces journalistes, à la plage, sur les planches, au restaurant, et disposées à veiller paternellement sur leur sommeil. Yann Barthès s’en est beaucoup amusé, à tel point qu’il a retenu ce sujet dans sa sélection hebdomadaire de dimanche dernier. Je dois bien le confesser, cela m’a amusé tout autant.
L’ambiance actuelle de cette fin, hélas pas si prochaine, de quinquennat est si sombre que l’on se trouve enclin à sourire même lorsque c’est totalement déplacé. En effet, qu’est-ce donc qui justifie de prendre en filature et de surveiller une équipe de journalistes ? Seraient-ils susceptibles de menacer la sécurité de notre souverain et de ses invités ? Pouvaient-ils être soupçonnés de contacts avec l’ultra-gauche, des trotskistes, des anarchistes, des terroristes d’Al-Quaïda, pis, le groupe de Tarnac ? Et tout cela à un moment où nos glorieuses forces de police sont fortement sollicitées pour maintenir un ordre bien compromis.
Pour être encore plus précis, y a-t-il une différence entre ces services et la funeste Stasi, Staats Sicherheit, Sécurité d’Etat, de la défunte République démocratique allemande ? Oui, bien sûr. La Stasi cultivait la discrétion, agissait sous le manteau, tandis que dans notre beau pays de France, sous le règne de notre mentor menteur, on opère en pleine lumière. On a jeté aux orties l’hypocrisie qui paraît-il couvrait les turpitudes du temps passé.
La devise du pouvoir est désormais : « Je vous lèse, et j’en suis fier ! »