Ainsi de Cité aux entrailles sans fruits tout juste paru aux éditions Gros Textes – d’emblée une forme de violence, des mots, peu, durs et drus, « la chair vieillarde aux dents perdues / la touffe blanchie l’étouffante / tuméfaction des souvenirs » (p. 4). Les titres sont posés après le poème, entre parenthèses et comme en aparté. On sent le dégoût du temps présent et de ses artifices mais surtout une immense empathie envers la misère et l’exclusion, la pauvreté sous toutes ses formes. L’écriture est resserrée et très efficace, en peu de mots dresse quelque chose (on verra que cette formule prend toute sa force un peu plus loin dans le livre), un gros plan (« entre les pierres de la digue »), le portrait d’un mendiant, celui d’une gare abandonnée (« sauf le dico / qui sait que le rail à une âme ? »).
Les poèmes, brefs, semblent en référer à un monde disparu et plus que perdu, désarticulé, cassé, un peu comme un jouet aimé de l’enfance, un peu comme une illusion de jeunesse.
Après les courts poèmes de longueur variées du premier ensemble, on passe dans la seconde partie du livre, intitulée « Quelque chose » à des monostiches, douze poèmes de quatre monostiches chacun, tous commençant par « quelque chose » : « quelque chose dans le poème / De désarmé comme ne pas / Dans la boue sans issue de vie / Pouvoir retrouver du travail » (p. 28).
Cette expression quelque chose, réputée vague, dont l’emploi est reproché aux écoliers pour imprécision, par cette imprécision même finit par devenir extrêmement précise, elle devient l’emblème de ce qui n’a pas de nom, de ce qu’on s’efforce de ne pas voir et donc de ne pas nommer, les misères, toutes les misères, la vieillesse, la mort, mais surtout l’exclusion sous toutes ses formes qui justement ne permet plus d’avoir une forme.
En section 3, la ville encore ou plutôt sa périphérie, avec quelques souvenirs personnels : « D’eau de pluie tu rafraîchis / le visage d’un père mort « (p. 39). Les titres, posés de nouveau après le poème, parlent d’eux-mêmes : « rien ni personne », « bouts de monde », c’est un monde désolé que peint Marcel Migozzi, un monde de rebuts, de déchets, d’abandon des choses et des hommes. Et la tentative d’inventaire de la quatrième partie, intitulée « de pauvres possessions » échoue à consoler qui que ce soit, malgré ce « placard ouvert / sur le peu essentiel de bouche » (p. 47) et le lecteur se pose avec la poète la question : « faut-il aimer cette amertume ?» (p. 55)
C’est un travail « à la loupe Mélancolie » (p. 63) certes, mais c’est surtout un travail avec les mots, qui tente de leur faire rendre gorge de tout ce non-dit d’un monde obsédé par la performance, le clinquant et la réussite et qui laisse tant de choses et tant d’être aux bord du chemin « devant les vieux poireaux d’octobre » (p. 38) : « Genêts de très pauvre terre / et valériane des talus délaissés / Hors les murs. » (p. 44)
Florence Trocmé
On peut lire quatre poèmes extraits de ce livre ici