La surprise me laisse muette, figée, le souffle coupé. Gabriel est là, suffisamment proche pour que d’un mouvement je puisse le toucher, je n’ose le faire, je reste là sans rien réaliser, sans rien dire. Pourquoi est-il là ? Il a rompu le lien tenu, d’un geste, de quelques mots, sans se retourner, sans réaliser qu’ainsi il me laissait profondément blessée, le pardon qu’il voulait je n’ai même pas pu l’envisager, la haine en cataplasme a fait son œuvre et aujourd’hui il est trop tard, bien trop tard. Le faire entrer, comment résister, pourquoi oublier qu’il piétine ma vie trop souvent, avant de repartir, enchainé à son étrange maléfice. Son visage est abimé, son corps entier semble frissonner, prêt à se briser, dans quelle vie est-il tombé, à quelle histoire s’est-il heurté. Partagée entre curiosité et instinct de survie, j’hésite en le regardant, sa bouche s’ouvre doucement, quelques mots tenus s’échappent « aide moi ».
Gabriel ouvre les yeux, cherchant autour de lui quelque chose de familier auquel se raccrocher, je semble trouver une place dans son champ de vision, « merci » me dit-il. Ne me remercie pas, raconte moi, ai-je envie de lui répondre, en me détournant sans rien dire.
« Je suis reparti longtemps, J’ai voulu abandonner mais jamais je n’ai résisté, encore et encore il m’a fallu tenter pour comprendre. J’ai vu des choses que je n’aurais jamais dut voir, j’ai souffert terriblement, spectateur d’une humanité cruelle, le 20 avril 1889 j’aurais pu d’un geste mettre fin à la vie du plus redoutable tyran de l’histoire humaine, je n’ai même pas pu le toucher, on ne m’a pas offert ce pouvoir, sachant ce qu’il allait faire je n’ai pu que le regarder en pleurant sur les millions de victimes que cet enfant ferait une fois adulte et l'aurais-je fait ?. Combien ont rêvé de pouvoir remonter le temps pour le tuer, et moi j’étais là impuissant, ne pouvant intervenir. Je cherche toujours le trésor, on me donne des bombes, des charniers, des enfants guerriers, esclaves, des femmes vitriolées, des bébés vendus, battus, violés, je ne peux que regarder, dit moi où est le trésor dans ce temps décomposé ? » ...
Illustration Daniel Shiffman