La cour des grands

Publié le 24 octobre 2010 par Toulouseweb
L’Arabie saoudite conforte la suprématie américaine.
Si l’expression n’était pas usée, on parlerait de marché du sičcle : l’Arabie saoudite confie ŕ l’industrie américaine un spectaculaire contrat de 60 milliards de dollars portant sur la fourniture de quatre-vingt-quatre F-15SA, soixante-dix hélicoptčres AH-64 Apache, soixante-douze UH-60 Black Hawk, des missiles, des bombes, des appareils d’entraînement, etc. La part de Boeing frise les 30 milliards.
D’un point de vue politique, ce contrat –qui entraîne de fait une association ŕ long terme- n’est pas tout ŕ fait surprenant. Reste le fait que Riyad n’a jamais confié aux Etats-Unis une quelconque exclusivité et, précédemment, a aussi fait largement appel au Royaume-Uni. On se souvient de l’important contrat Al Yamamah portant notamment sur la fourniture de centre-trente-quatre Tornado et, plus récemment, de l’achat de soixante-douze Eurofighter/Typhoon. Des achats négociés et conclus ŕ Londres mais qui impliquent indirectement les autres partenaires de ces deux programmes d’avions de combat, ŕ commencer par l’Allemagne. Laquelle évite d’apparaître en premičre ligne, tant sont encombrants ses soucis en matičre d’exportations de matériels militaires.
Du coup, on a oublié (c’est une figure de style) que la France a Ťfailliť vendre trente-six Rafale ŕ l’Arabie saoudite. C’était en 2006, il y a, semble-t-il, une éternité. Et, aujourd’hui, on en arrive ŕ se demander si la France joue encore dans la cour des grands, tant la suprématie américaine apparaît puissante au point de ne pas laisser d’espace vital ŕ ses concurrents. De plus, il ne reste pas grand-chose du Royaume-Uni, époque Al Yamamah. Le Tornado fera bientôt partie du passé tandis que le Typhoon commence déjŕ ŕ subir l’outrage des ans. Et, surtout, Londres et BAE Systems ont réorienté tout autrement leur stratégie en la matičre. Le nouvel avion de combat britannique …est américain, c’est le F-35 Joint Strike Fighter.
La victoire que viennent de remporter en Arabie saoudite Boeing, Sikorsky et quelques autres, constitue l’aboutissement d’un processus entamé dčs 1974/1975. Le Pentagone, plus encore que le complexe militaro-industriel lui-męme, a abordé cette année-lŕ la phase décisive d’une offensive d’influence visant ŕ imposer des matériels Made in USA lŕ oů des rivaux européens entretenaient encore de réelles ambitions. Dčs lors, quand le General Dynamics F-16 l’a remporté sur le Dassault Mirage F1E dans quatre pays du Vieux Continent (Pays-Bas, Belgique, Norvčge et Danemark), un contrat de 348 avions, c’est le Pentagone qui a gagné, bien plus que Ť GD ť.
Depuis lors, une profonde restructuration industrielle est intervenue, le F-16 a trouvé une place de choix dans le catalogue de Lockheed Martin et poursuit une interminable et belle carričre internationale. Parallčlement, le McDonnell Douglas F-15 est devenu un produit Boeing, lui aussi inépuisable. Ce tandem F-16/F-15, imaginé dans les années soixante-dix, a permis aux stratčges de concrétiser brillamment le concept Ťhi-lo mixť : un exercice de style entre militaires, tout d’abord, appliqué en interne, mais aussi transformé en une formidable machine de guerre commerciale qui, depuis lors, a vogué de succčs en succčs.
Depuis lors, les Anglais ont renoncé, ŕ leur maničre. Et la France ? Ce n’est pas une question uniquement industrielle qui est posée, tant s’en faut. Les ventes de matériels militaires se négocient d’Etat ŕ Etat et supposent non seulement de disposer de matériels performants et concurrentiels mais aussi le déploiement d’efforts politiques de trčs longue haleine, accompagnés du déploiement de moyens importants dans le cadre d’une vraie stratégie.
En 1985, en matičre d’avions de combat, l’Europe de la Défense a explosé en vol, faute de parvenir ŕ réunir les conditions d’une entente cordiale nouvelle maničre. D’oů la cohabitation plus ou moins heureuse entre Eurofighter et Rafale, une grande déperdition d’énergie et la source de nombreuses occasions manquées. Prochain test : le Brésil, oů Dilma Rousseff, ŕ peine élue, va trouver sur son bureau le dossier délicat du choix d’un nouvel avion de combat. D’ici lŕ, il sera toujours possible de parler de l’Arabie saoudite, dans la mesure oů il y aurait encore quelque chose d’utile ŕ dire de la nouvelle victoire américaine.
Pierre Sparaco - AeroMorning