Richard Mayhew, jeune écossais vivant à Londres, est un homme dont l'unique fantaisie est de collectionner les petits trolls : employé de bureau lambda, il est tyrannisé par sa fiancée Jessica, un monstre d'égoïsme, très centrée sur elle-même et le qu'en-dira-t-on. Un soir, il recueille une jeune fille blessée sortie de nulle part et venant de "La Londres d'en bas". Très rapidement, il reçoit la visite d'un duo improbable, Messieurs Croup et Vandemar, qui recherchent Porte, la jeune fille en question. Et dès le lendemain, Richard se rend compte que sa vie dans "La Londres d'en haut" s'effiloche, c'est comme s'il n'existait plus : sa fiancée l'a quitté, ses collègues l'ignorent, l'agent immobilier fait visiter son appartement. Sans autre choix, Richard s'enfonce dans la Londres d'en bas, à la recherche de Porte.
Et si sous nos villes occidentales, se cachait un monde inconnu, fantastique, parallèle, où se cotoient des humains "tombés dans les failles" et des créatures magiques? Neil Gaimain décrit un lieu intemporel, avec des personnages hauts en couleur s'appropriant les stations de métro et les égouts de Londres, où les parias de la société moderne peuvent trouver leur place, où les comtes vieux de plusieurs siècles logent dans des rames de métro, et où l'on peut aussi bien trouver des bêtes légendaires que des anges. En somme, c'est un lieu de tous les possibles, royaume des peurs et des chimères de tout un chacun, un lieu délicieusement improbable, et illogique.
De fait, l'arrivée d'un personnage aussi banal et ennuyeux, bien qu'attachant, que Richard, offre un contraste assez saisissant. En somme, c'est comme si Bree Van de Kamp débarquait dans la terre du milieu. Pris dans une histoire qui le dépasse, découvrant que la Londres qu'il croyait connaître n'est en réalité que la partie visible de l'iceberg, Richard est obligé d'évoluer au fil de ses aventures. Le jeune homme perdu et un peu mou qui s'étonne qu'il n'y a pas de station "British Museum" (elle a effectivement été fermée en 1933) ou de moines à la station "Blackfriars" devient un adulte courageux, qui ose dire ce qu'il pense. Véritable récit d'apprentissage, "Neverwhere" revendique également le droit à la fantaisie et à la différence.
Avec sa fresque de personnages burlesques, Neil Gaimain joue avec les monuments et stations de métro de Londres : on rencontre ainsi Old Bailey, des moines à Blackfriars (littéralement, les moines noires), un comte à Earls'court, un ange à Angel et ainsi de suite. Neil Gaiman nous explique dans sa préface qu'il a remanié le texte pour en permettre une meilleure compréhension pour un public américain (ou français), ce qui nous permet de ne pas être trop perdu dans Londres.
Mélange d'humour et de fantasy, "Neverwhere" est également un récit d'aventure, sous forme de quête, qui permet à Richard de prouver aux autres, et à lui-même, sa valeur. Considéré au début comme inutile et ignorant, il surprend par sa pugnacité et gagne le respect et l'affection de ses compagnons, en particulier Porte. Porte est un personnage étonnant : héritière d'une grande famille décimée par des hommes de main, elle cherche à se venger. A la fois femme et enfant, le lecteur en ferait bien la nouvelle compagne de Richard (mais Neil Gaimain écoute-t-il le lecteur? à vous de voir). Quant au marquis de Carabas, fidèle, raffiné et intéressé, il séduit le lecteur, par sa personnalité, et par les épreuves qu'il subit.
"Neverwhere" offre un univers intéressant, qui aurait potentiellement pu être davantage développé, dans plusieurs livres par exemple. Ce n'est pas le cas, mais il existe en revanche une série : Porte y apparaît un peu plus vieille que dans le livre, où elle m'a semblée avoir un peu moins de vingt ans, et Richard a un accent écossais très charmant. Ce livre m'a beaucoup plu, et je remercie vivement les éditions "au diable vauvert" ainsi que Livraddict pour cette découverte. "Neverwhere" est resté longtemps épuisé, et le rééditer était vraiment une très bonne idée.