Comme l’indique Susan Georges dans sa préface, Viale est docteur en droit et très au fait des complexités des politiques européennes. Il offre donc avec cet ouvrage un récapitulatif parfait pour suivre les évolutions récentes de l’Europe dans plusieurs domaines.
Première idée : la concurrence reste encore et toujours l’axe central des politiques de l’Union.
Placé dès 1957 comme clé de voute de la construction européenne, le principe de concurrence y est resté à travers les multiples avatars du traité initial, renforçant même son rôle avec la prime donnée à la notion de « compétitivité ». Viale excelle à faire comprendre les implications multiformes de ce principe. Ainsi, les grandes entreprises européennes souhaitent en finir avec un maximum de services publics pour se prévaloir, à l’OMC, d’une grande ouverture. Et dans un deuxième temps s’ouvrir ainsi les marchés non-européens. Les aspects internes à l’Union des politiques de la concurrence sont ainsi étroitement reliés à la politique commerciale européenne.
L’auteur note ainsi fort justement que l’Union européenne, bien loin d’être un rempart contre la globalisation, en est un accélérateur. Nombre d’éléments confortent cette assertion : comme Raoul-Marc Jennar, Viale étaye son argumentation de multiples références émanant autant de l’Union que de divers auteurs, journalistes ou politiques. On apprend ainsi par exemple que la Commission européenne refuse aux parlementaires européens la possibilité de consulter les demandes et offres de libéralisation faites par l’Union au sein de l’OMC ! Bel exemple de démocratie.
Les politiques macroéconomiques de l’Union sont également mises au service de l’exacerbation de la concurrence. L’euro fort oblige les entreprises européennes à toujours plus d’efforts de réduction des coûts, y compris salariaux, pendant que l’absence d’harmonisation fiscale exerce une constante pression à la baisse sur les prélèvements publics. D’un point de vue libéral, l‘Union est réellement une machine merveilleuse. Le plus fort est que ce sont les privilégiés de l’Union – actionnaires et grandes entreprises – qui amassent des sommes considérables grâce au moins-disant fiscal, qu’ils augmentent encore en devenant créanciers des états qui les ont enrichis !
Deuxième idée, Viale prédit la poursuite sans relâche de cette orientation menant à une disparition progressive des services publics. On comprend bien en effet comment ceux-ci ne sont que tolérés, et comment, dans l’Union, ils ont vocation à s’effacer au profit d’acteurs privés - que ce soit dans les transports, la poste ou même l’enseignement. L’absence de définition des services publics dans les textes européens et l’action de la jurisprudence européenne jouent en ce sens : toute activité de production de biens ou de services a vocation à entrer dans le mécanisme du marché et de la concurrence. La Politique Agricole Commune, l’une des rares politiques européennes « interventionniste » est en train d’être démantelée. En matière de droit social, c’est la même chose. Viale démontre de façon très fine comment la jurisprudence et les pressions de la Commission fragilisent continûment les droits existants malgré la « charte des droits sociaux », texte adjoint au Traité de Lisbonne. Cette charte est sans portée puisqu’elle « ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités. » Pas demain donc que le progrès social viendra de Bruxelles.
L’élargissement européen assure en fait que la concurrence restera encore longtemps le seul point commun entre les 27 pays membres (« ...serait-ce de la naïveté que de penser que les élargissements sans approfondissement rendent possibles les conditions du chantage aux délocalisations permanent et systématique qui amènent les salariés de l’Ouest à accepter « librement » la dégradation de leurs conditions de travail ? ». De nombreux chiffres enterrent l’idée que les nouveaux entrants dans l’Union bénéficient de cette brutale ouverture : en réalité, les inégalités sociales y ont explosé. Les salariés de l’Ouest ne sont donc même pas sacrifiés pour le bénéfice de leurs homologues de l’est. L’Union européenne est un jeu perdant-perdant.
Dans un avant-dernier chapitre, Frédéric Viale montre enfin comment, en toute discrétion, l’Union européenne déploie des politiques franchement incompatibles avec les droits de l’homme. Ceci dans le cadre de la lutte contre l’immigration illégale déployée notamment par l’agence Frontex, qui encourage, en Lybie ou dans d’autres pays méditerranéens, des politiques de répression parfois criminelles pour les candidats à l’immigration. Il estime également que les institutions européennes sont fort peu démocratiques, bien moins que celles des états-membres. La troisième idée forte de l’ouvrage est donc que dans son fond même, l’Union est une construction viciée et vicieuse.
Pourtant, au terme de ce plaidoyer implacable à l’encontre de l’Union, Frédéric Viale déçoit grandement. Il estime tout d’abord que la plupart des turpitudes de l’Union sont attribuables, en réalité, aux Etats. Le Conseil européen serait décideur, donc les gouvernements des pays membres. C’est inexact à mon sens. D’une part les réflexions du Conseil et son agenda sont gérés par l’administration bruxelloise. C’est elle qui dure et peut prendre son temps pour imposer ses orientations, quand bien même quelques gouvernements seraient tentés de résister. D’autre part les pouvoirs européens sont si forts dans certains domaines que le Conseil européen n’a plus son mot à dire. On voit bien ainsi que la Banque Centrale Européenne impose son agenda à l’ensemble des gouvernements.
La deuxième erreur de Viale peut être attribuée à ce premier défaut d’analyse. Comme il ne sait, finalement, qui de l’Union ou des états est coupable de « l’horreur européenne », il estime qu’il faut changer les institutions européennes plutôt que sortir d’un système qu’il a pourtant décrit comme tyrannique. A ce point, on ne peut que recommander à Frédéric Viale la lecture de « De la servitude volontaire ». Il fait penser à ces militants communistes qui restaient au Parti pour « changer les choses de l’intérieur ».
Il existe pourtant un moment où l’on doit constater les dégâts, et savoir tourner la page. C’est le réalisme qui impose de sortir de l’Union européenne, rien d’autre. Le livre de Viale est donc utile pour refaire un point documenté sur les travers de l’Union.
Dans ses conclusions, il est déjà dépassé.
NB : texte rédigé pour la revue Bastille République Nation, qui vient de reparaître en version papier.