Octave Mirbeau protecteur de la famille Tanguy suite......

Par Bernard Vassor

Par Bernard Vassor

Les dernières années de la vie de Julien Tanguy, atteint selon ses proches d'une hernie, en réalité un cancer de l'estomac seront lourdes et douloureuses pour ce brave homme qui avait traversé les pires épreuves qu'un homme peut éprouver dans sa vie. Parmi les rares personnes qui avaient poussé la porte de sa nouvelle boutique du 9 rue Clauzel : Octave Mirbeau. La parution de la correspondance générale de Mirbeau chez "L'Age d'Homme" du volume II, qui en comprend trois pour le moment, un quatrième est en préparation éclaire d'un jour nouveau les relations de Mirbeau avec les peintres de son temps: Octave Mirbeau, correspondance générale, éditions l'Age d'Homme, 2005 Lausanne Suisse. Edition établie, présentée et annotée par l'infatigable Pierre Michel, avec l'aide de Jean-François Nivet. Ce volume qui couvre les années 1889 à 1894, contient 19 entrées pour Julien Tanguy et 14 pour sa femme....dont nous donnerons un aperçu, après l'autorisation de Pierre Michel dans un prochain article. Dès la page 16 de sa présentation Pierre Michel indique l'achat par Mirbeau en 1891, donc au 14 rue Clauzel (en cachette de sa Xantippe de femme) au père Tanguy, de deux toiles de Vincent pour la somme dérisoire de 600 francs (?)*: Les Iris et les Tournesols qui seront vendues 54 milliards de centimes en 1987 !!! Le plus  difficile je crois a été de faire accepter par sa femme que ces "horreurs" puissent entrer dans son appartement. Dans une lettre adressée à Julien Tanguy vers le 1 avril 1891 (page 371) Mirbeau lui demande d'aller toucher le produit de sa vente chez son éditeur Charpentier, en lui  indiquant : " Vous paierez le port, et ce qui restera des cent francs supplémentaires, je vous prie de les garder pour vous. C'est une commission qui vous est bien dûe, et que je suis bien heureuxx de vous offrir". L'argent de la vente revenait à Johanna Bonger, la veuve de Théo. La "commission" allouée à Tanguy était un moyen détourné élégant pour venir en aide aux Tanguy, dont la situation financière était desastreuse, pour que cela n'apparaisse comme une aumône. Ici je dois rectifier une antienne chantée en coeur par tous les historiens de l'art même les mieux intentionnés : Tanguy n'échangeait pas des tableaux contre des tubes de couleur, mais avait en dépot des  toiles d'artistes qu'il était chargé de vendre.  Si il se trouvait qu'un de ses clients était débiteur, il prélevait bien sûr le montant des fournitures dûes. Certains comme Cézanne laissaient en souffrance des factures pendant plus de dix ans. J'ajoute que les pourcentages perçus étaient très modestes et qu'il était parfois dans l'impérieuse neccessité de battre le rappel auprès de ses créanciers, ce qui lui valut une forte méchante colère de la part de Vincent qui n'avait pas une vue très claire de la situation. Fort heureusement, la brouille fut passagère et la dernière visite parisienne de Vincent van Gogh fut la boutique de la rue Clauzel 'en dehors de la visite du brocanteur japonisant Michel Sichel de la rue Pigalle qui présentait un Bouddah en vitrine..

Après la mort du père Tanguy dans sa boutique appartement du 9 rue Clauzel, Octave Mirbeau qui avait déjà publié des articles favorable à Vincent van Gogh, seul presque contre toute la critique, va prendre en main la vente après-décès de Julien Tanguy en faveur de sa veuve

Xanthippe, heu...non Renée Tanguy née Briend !

Mirbeau Octave-Marie-Henri, 16/02/1848 à Trévière (Calvados)_21/01/1917 rue Beaujon
Domicles montmartrois : 4 rue de Laval (aujourd'hui rue Victor Massé) et rue Bochart de Saron au siège du journal "L'en Dehors"
*Journaliste écrivain, dramaturge, critique d’art au flair exceptionnel. Après des études chez les jésuites de Vannes, il « monte » à Paris ou il s’installe dans un logement de la Chaussée d’Antin pour y terminer des études de droit. Bals, soupers fins, aventures galantes, occupent la majeur partie de son temps, résultat : couvert de dettes, dans l’impossibilité de se présenter aux examens de fin d’année, il se résout à réintégrer le logis familial. Ayant tiré le mauvais numéro au tirage au sort, il est enrôlé dans le 49°régiment de mobiles de l’Orne au 4°bataillon. Il est nommé lieutenant, et sera entraîné pendant la guerre franco-prussienne dans la débâcle, malade épuisé, il sera soigné à l’hôpital du Mans puis errera de ville en ville pendant la durée de la guerre et la Commune. Accusé de désertion, il sera blanchi, mais gardera pour le reste de sa vie une rancoeur envers les institutions. Sur le moment, il n’eut pas de grande sympathie pour la Commune, dont il jugeait les chefs « qui étaient des bandits et des farceurs comme tous les hommes politiques » mais sa sympathie allait à »la masse si mélancolique et silencieuse qui avait cru en elle et qui y voyait un peu de bonheur et de justice ». Quand à Thiers, caricaturé sous les traits de monsieur Quart ( les trois autres fractions vivant en Harmonie, étant madame Dosne sa belle-mère, et ses deux filles dont l’une était sa femme.) le portrait comme celui que Balzac à fait de lui trente ans auparavant n’est guère flatteur : « dépourvu d’âme, de cœur et de sensibilité, (…)quelque chose qui marche, marche, digère, gesticule et pense selon des mécanismes soigneusement calculés » Grâce à un ami rencontré dans un bastringue pendant sa jeunesse studieuse, il obtient un poste d’employé de préfecture. Il fait ses débuts journalistique dans une feuille bonapartiste « L’Ordre de Paris » en 1872. Ses début de dramaturge, une pochade pornographique, cosignée avec Maupassant, sera jouée le 19 avril 1875 chez le peintre Maurice Leloir en présence de Flaubert et de Tourgueniev, et qui fera rougir de honte, la "chaste" Valtesse de la Bigne.
Protégé d’Arthur Meyer il collaborera à tous les journaux de « l’homme au caniche ». malgré son anticléricalisme, jusqu’à « l’Affaire », ou leurs opinions divergèrent.
Il dissèqua avec une lame acérée la société de cette fin de siècle. Protecteur des impressionnistes, visionnaire, il a été un des premiers à acheter des Van Gogh en 1891. Les Iris et Les Tournesols, (vendus 240 millions de francs en 1987) pour 600 francs. Pour ne pas subir les foudres de sa Xanthippe* de femme, il demande au père Tanguy d’aller toucher de sa part chez son éditeur Charpentier, en prenant la précaution de lui envoyer une lettre dans laquelle il lui expliqueait que ces toiles lui étaient offertes en remerciement des articles qu’il avait accordés a Vincent.
Des milliers d’articles de journaux, une éphémère carrière politique, des dizaines de romans, d’innombrables pièces de théâtre, des revirements multiples ……
Après sa mort, sa veuve, avec la complicité de la girouette Gustave Hervé, fit paraître un «Testament Patriotique » ultime trahison d’Alice-Mirbeau-Xanthippe.

Voici une lettre de la veuve Tanguy adressée à Andries Bonger, frère de Johanna, la femme de Théo. Bonger avait été quand il habitait Paris l’intermédiaire entre sa sœur et les époux Tanguy (orthographe respectée : 
**Paris le 15 Février 1894
Mon cher Monsieur Bonger je vous écrit cette petite lettre pour vous avertir que mon proprietaire veut me forcer a continuer mon bail. comme vous avez que c etaient mon mari qui fesaient la couleur pour ses peintres et ni etant plus tout est mort cher monsieur si vous vouliez bien m envoyer la liste des tableaux qui sont a vous le plutot possible car cependant je ne dois rien au proprietaire mais je dois lui faire savoir que les tableaux que jaie ne m apartiennent pas

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Mon cher Monsieur Bonger
J aimerai bien que vous veniez a Paris si sa vous étaient possible mais si non vous serez bien aimable de m envoyer la liste car de mon coté je ne l'aie pas trouvé nul part et ne sais si vous lavez remise a mon pauvre mari tant qu'a la vente des tableaux
Nous voyons toujour de temps en temps quelque curieuxqui viennent les voir mais point acheteur si vous voulez bien en faire part a madame Vanghog et dites moi ce que vous décidez ou si Monsieur Bernard père veut bien se charger de prendre la responsabilité tant qu'à moi je me débats vis a vis du propriétaire le plus que je peut mais il parait d'après les renseignement que j aie pris auprés d un homme d affaire il est en droit de me faire continuer le bail encore trois ans vue que ne connaissant pas les affaire j ai signé le bail avec mon mari.

cher Monsieur Bonger 
vous savez qu'en perdant mon mari j aie tout perdu et je suis a la vieille de tomber dans la plus profonde misère car vous savez que nous n avons pas déconomie Je crois avoir pour protecteur Monsieur Octave mirbeau qui comme vous allez le voir a fait un si bel article au sujet de mon mari Dans lecho de paris car c'est trés genti de sa part et je vous envoie le journal pour que vous en preniez lecture jaie eue l'honneur d'avoir eue la visite de Madame Mirbeau et elle m a promis que son mari s'interresserai a moi Je vous pris de croire monsieur que j aie beaucoup de chargrin et que je perd bien mes forces mais heureusement que jaie mes enfants avec moi dont jen aie pas a me plaindre je suis toujours moins seul cher Monsieur a bientot le plaisir De vous voir ou sinon une réponse le plutot possible bien des choses a votre dame ainsi qua madame Vangohg. je ne lui ait pas écrit vue que je naie pas son adresse recevez Mr mesrespect bien sincère votre toute Devouée Veuve Tanguy 9 rue Clauzel.
*Xanthippe était le surnom donné par Vincent à l'épouse du père Tanguy. Faisant référence à la femme de Socrate qui avait la réputation d’être une mégère
SOURCES :
La formidable biographie de Mirbeau :
*Jean-François Nivet et Pierre Michel : Octave Mirbeau, L’imprécateur au cœur fidèle, librairie Séguier, Paris 1990
L’Écho de Paris, 31 mars 1891
L’Écho de Paris 13 février 1894 : chronique nécrologique du père Tanguy

Avec l'autorisation de Pierre Michel.
**Don du musée Van Gogh d’Amsterdam
Archives personnelles

*Une lettre de Julien Tanguy à Johanna me laisse supposer qu'il s'agissait peut-être de 600 francs par tableaux ? :

"Paris le 31 Janvier 1892

Ma chére Madame Van Gogh,

Je vous prierai de vouloir bien mexcuser du grand retard que jaie mis à répondre à votre lettre mais c'est que nous avons été sur le point de vendre un tableaux, mais comme je fait tout mon possible de les faire augmenter maintenant

je les fait 600 franc et alors on les trouve un peu trop cher

jusquà présent tous ceux que nous avons vandu cetaient de

trois à quatre cent franc chaque du reste Monsieur Bonger

a du vous le dire car c'est à luidont jaie rendu tout mes compte chère Madame maintenant je vouderai bien que vous me donniez un petit mot davis pour ma gouverne. Si je dois accepter un prix dan dessous de 600 comme je le demande maintenant Comme vous devez savoir par Mr. Bonger ils men reste encore Sept Je pense Madame que vous nignorez pas que je ferai tout mon possible pour les vendre le plus cher. dont je pourai. Je vous dirai que tout le monde me demande des dessin de Vincent et je nen ait pas du tout.Si vous jugez à propos de men envoyer quelque uns cela me fera bien plaisir et de

men fixer le prix de chaque.Je vous prierai Madame de

vouloir bien presenter tout mes respect à Monsieur et

Madame Bonger et dembrasser  le petit bebe pour nous en

attendant le plaisir de recevoir de vos nouvelles Recevez Madame nos sinceres salutations et comptez toujours sur notre bonne amitié.

Julien Tanguy."

Orthographe respectée, cette lettre a certainement été dictée par Tanguy à sa fille Mathilde, seule de la famille sachant lire et écrire.

mise à jour le 24/10/2010

Pierre MICHEL
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