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Michel de Montaigne : Les Essais "De l'amitié"

Par Manus

Michel de Montaigne : Les Essais "De l'amitiי"

Michel de Montaigne : Les Essais

Il m'arrive, assez souvent d'ailleurs, de plonger dans ma bibliothèque à la recherche de livres qui me surprendront, ou du moins, qui me permettront de voguer doucement sur les eaux calmes de la réflexion, accompagnée par les pensées de l'auteur nourrissant les miennes.  Si régulièrement je lis un passage de la Bible que je mâture pendant plusieurs jours tant les paroles qui en émanent sont riches et intéressantes sur le plan historique et philosophique, j'aime tout autant me pencher sur des auteurs dont l'écriture est le fruit d'une descente dans leurs entrailles.

Montaigne, que je soigne particulièrement en ce moment, m'amène à vouloir écrire ces quelques lignes alors même que ma réflexion est toujours suspendue à ses écrits.

Il s'agit ici du texte intégral, au langage modernisé, puisé dans les Essais "De l'amitié".

Je n'irai pas jusqu'à commenter tout le chapitre, mais relèverai simplement quelques passages qui m'ont émue au cours de ma lecture encore d'actualité.

Montaigne parsème ses Essais d'écrits d'autres auteurs afin de mieux appuyer sa réflexion, d'où ce texte de Catulle, Epigrammes, LXVIII, 20; LXV, 9 qu'il présente au lecteur :

"O misero frater adempte mihi !

Omnia tecum una perierunt gaudia nostra, 

Quoe tuus in vita dulcis alebat amor.

Tu mea, tu moriens fregisti commoda, frater;

Tecum una tota est nostra sepulta anima,

Cujus ego interitu tota de mente fugavi

Hoec studia atque omnes delicias animi.

Alloquar ?  audiero nunquam tua verba loquentem ?

Nunquam ego te, vita frater amabilior,

Aspiciam posthac ? At certe semper amabo."

"O mon frère, qui m'a été arraché pour mon malheur !

En même temps que toi se sont évanouies

Les joies que ta douce amitié entretenait dans la vie.

En mourant, mon frère, tu as brisé tout mon bonheur !

Avec toi, notre vie est descendue dans la tombe.

Depuis ta mort j'ai chassé de mon coeur

Tous mes travaux en tout ce qui faisait mes délices,

Ne plus te parler ?  Ne plus entendre ta voix ?

Ne plus jamais te voir, mon frère,

Toi qui m'étais plus cher que la vie ?

Du moins je t'aimerai toujours."

Ainsi vont les pensées de Montaigne au travers de son Essai : elles volent de coeur en coeur, ouvrant l'être à la compréhension des âmes qui se nouent l'une à l'autre par l'amitié.

Car, cette parfaite amitié qu'il évoque est indivisible.  Le don, acte suprême dans un lien d'amitié, n'est que la résultante réciproque si tant soit peu celle-ci se vit dans l'authenticité.  Montaigne désigne clairement que l'amitié profonde se vit à la lumière de la vérité et de l'amour.  Quelle vérité ?  Quel amour ?  

Les interrogations se maintiendront telles quelles, tout en engendrant d'autres questions à la suite des esquisses de réponses qu'il offrira.

Pour Montaigne, une véritable amitié, celle qui relève de l'amour et du don, ne peut se dédoubler, ou se tripler.  Ainsi dit-il :

"Car cette parfaite amitié, de quoi je parle, est indivisible; chacun se donne si entier à son ami, qu'il ne lui reste rien à départir ailleurs; au rebours (...)"

"(...) Les amitiés communes, on les peut départir, on peut aimer en celui-ci la beauté, en cet autre la facilité de ses moeurs, en l'autre la libéralité, en celui-là la paternité, en cet autre la fraternité ainsi du reste; mais cette amitié qui possède l'âme et la régente en toute souveraineté, il est impossible qu'elle soit double. (...)"

Au point que lorsque Montaigne perd un ami qui lui est si cher, irremplaçable, impossible de "doubler" par d'autres amitiés, il aborde la vie avec langueur, se sentant coupé en deux, extirpé d'une moitié de lui qui s'est tue à jamais.  Cette amitié - de celle qu'il définit comme étant la véritable amitié - le prive désormais d'une joie de vivre, d'une tristesse infinie qui ne sera jamais comblée.

Il ignore comment exprimer par actes ou par pensées que son ami lui manque, alors, il ne lui reste qu'une seule chose encore de possible : le pleurer.

"Quis desiderio sit pudor aut modus

Tam chari capitis ?"

"Peut-on montrer honte ou modération

En pleurant une tête si chère ?"

Horace, Odes, II, 24, 1.

Savina de Jamblinne


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